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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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rédiger des lettres officielles, avec les formules d’usage ;
il fut également chargé de convoyer le plus important de ces messages, celui
que l’on adressait au seigneur de Constantinople-la-Grande. Dès qu’il fut
pressenti, mon oncle rendit visite au sultan de Fès ainsi qu’à Boabdil, et
obtint d’eux des lettres de recommandation et de créance.
    Chaque fois que j’évoque ce voyage, j’ai un
serrement de cœur, et encore aujourd’hui, bien que j’aie connu depuis les
contrées les plus étranges et les lieux les plus inaccessibles. J’avais
toujours rêvé de connaître Constantinople, et, en apprenant que Khâli s’y
rendait, je ne tenais plus en place. Je tournais la chose dans ma tête, me
demandant si je pouvais espérer, à l’âge de dix ans, être d’un tel voyage. Sans
trop d’illusion, je m’en ouvris à mon oncle. Or quelle ne fut pas ma surprise
quand il me lança, les deux bras ouverts en signe de bienvenue :
    « Où trouverais-je donc meilleur
compagnon ? »
    En dépit de son ton ironique, il était visiblement
enchanté de l’idée. Restait à convaincre mon père.
    Cette année-là encore, Mohamed était souvent en
dehors de la ville, cherchant un terrain à louer pour mener une existence
paisible loin du bruit, loin des ragots, loin des yeux réprobateurs. Pendant
deux longues semaines, je l’attendis donc chaque jour, demandant sans arrêt de
ses nouvelles à Warda et Mariam. Elles n’en savaient rien. Comme moi, elles
attendaient.
    Quand il finit par arriver, je me précipitai sur
lui et me mis à parler si vite qu’il dut à plusieurs reprises me faire
recommencer. Hélas ! ce fut tout de suite un refus irrévocable. J’aurais
peut-être dû attendre que Khâli lui présente le voyage à sa façon. Il aurait su
vanter avec éloquence les avantages d’un tel périple. Peut-être Mohamed
aurait-il alors accepté pour ne pas contrarier mon oncle avec lequel il venait
tout juste de se réconcilier ? À moi, il pouvait dire « non »
sans détour. Il prétexta les dangers du voyage, me cita des gens qui n’étaient
jamais revenus, me parla de mes études, que j’aurais été obligé d’interrompre
pour partir. Je pense toutefois que la vraie raison était qu’il me sentait trop
proche de mon oncle, de la famille de ma mère en général, et qu’il craignait
que je lui échappe totalement. Ne pouvant argumenter, je le suppliai d’en
parler à Khâli, mais il refusa même de le rencontrer.
    Une semaine durant, je me réveillai chaque matin
les yeux rouge sang et l’oreiller humide. Pour me consoler, mon oncle me jura
que je l’accompagnerais à son prochain voyage ; il tiendrait parole.
    Vint le jour du départ. Khâli devait se joindre à
une caravane de marchands en partance pour Oran, avant de prendre le bateau.
Dès l’aube, les Grenadins vinrent en grand nombre lui souhaiter bonne mission
et contribuer par quelques pièces d’or à ses dépenses. Pour ma part, je me
morfondais dans mon coin lorsqu’un vieil homme aux yeux malicieux vint s’asseoir
à mes côtés. Il n’était autre que Hamza, le barbier qui m’avait circoncis. Il
me demanda des nouvelles de mon père, se lamenta de la mort du délivreur qu’il
avait rencontré la dernière fois chez nous à Albaicin. Puis il s’enquit de mes
études, de la sourate que j’étudiais en ce moment et commença même à la
réciter. Sa compagnie était agréable et je bavardai une heure avec lui. Il me
raconta qu’il avait perdu en s’exilant l’essentiel de ses économies, mais qu’il
pouvait encore, grâce à Dieu, subvenir aux besoins de ses femmes. Il avait
recommencé à travailler, comme barbier uniquement, car pour les circoncisions
son coup de rasoir n’était plus assez net. Il venait de louer un espace au
hammam du quartier pour y exercer son métier.
    Soudain, une idée illumina ses yeux.
    « N’aurais-tu pas envie de m’aider quand tu n’es
pas à l’école ? »
    J’acquiesçai sans hésiter.
    « Je te paierai un dirham par semaine. »
    Je m’empressai de dire que j’avais un ami et que j’aimerais
bien qu’il puisse venir avec moi. Hamza n’y vit aucun inconvénient. Il aurait
la même somme, il y avait quantité de choses à faire au hammam.
    Quand Khâli vint me donner, quelques minutes plus
tard, le baiser du voyageur, il eut la surprise de voir mes yeux secs et
souriants. Je lui expliquai que j’allais travailler, que j’allais toucher un
dirham chaque

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