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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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moment
où il devenait le domaine des femmes. Les premiers temps, nous cherchions à
nous convaincre qu’il n’y avait rien d’autre que ce que nous connaissions avec
les hommes, les mêmes massages, les mêmes frictions, les mêmes bavardages, les
mêmes festoiements, les mêmes serviettes pour cacher les notables. Pourtant, en
observant la porte d’entrée dans l’après-midi, nous voyions arriver non
seulement un grand nombre de marchandes avec leurs cabas, mais aussi toutes
sortes de personnages inquiétants, des diseuses de bonne aventure, des
guérisseuses, peut-être aussi des magiciennes. Était-il vrai qu’elles
préparaient des élixirs, qu’elles jetaient des sorts aux hommes, qu’elles
transperçaient des figurines de cire avec des épingles magiques ? C’est
peu dire que nous étions intrigués ; cela devenait pour nous une
intolérable obsession.
    Et un défi.
    « Demain, j’y vais, quoi qu’il arrive.
Veux-tu m’accompagner ? » me dit un jour Haroun.
    Je regardai ses yeux ; il ne plaisantait pas.
    « Veux-tu m’accompagner ? »
    Il me fallut beaucoup de courage pour dire non.
    « Tant mieux, dit Haroun. J’irai tout seul.
Mais sois ici en début d’après-midi, exactement à cet endroit. »
    Le lendemain, il pleuvait, il faisait sombre. Je
vins me poster à l’emplacement indiqué, d’où je pouvais observer l’entrée du
hammam sans être remarqué. Je n’avais pas vu Haroun de la journée. Je me
demandais s’il y était déjà, s’il allait pouvoir entrer ; je m’attendais à
le voir éjecter ; je craignais aussi de le voir sortir poursuivi par vingt
femmes à ses trousses, de devoir m’enfuir à mon tour à travers les rues. La
seule chose dont j’étais sûr, c’est que le Furet n’avait pas renoncé à son
projet fou. De temps en temps, je regardais vers le soleil, du moins vers son
halo derrière les nuages. Je m’impatientais.
    À la porte du hammam, il n’y avait aucun mouvement
inhabituel. Des femmes entraient, d’autres sortaient, certaines drapées de noir
ou de blanc, d’autres se couvrant seulement la chevelure et le bas du visage.
Quelques petites filles les accompagnaient. Parfois même de tout petits
garçons. À un moment, une grosse femme vint dans ma direction. Arrivée à ma
hauteur, elle s’arrêta un instant, m’inspecta de la tête aux pieds, puis
repartit en marmonnant des mots incompréhensibles. Mon allure embusquée avait
dû lui paraître suspecte. Quelques longues minutes plus tard, une autre femme,
toute drapée mais bien plus menue, se dirigea vers l’endroit où j’étais posté.
Je n’étais pas rassuré. À son tour, elle s’arrêta et se tourna vers moi. J’allais
prendre mes jambes à mon cou.
    « Tu es ici, à l’abri, et tu
trembles ? »
    C’était la voix de Haroun ! Il ne me laissa
que le temps d’une interjection.
    « Ne fais aucun signe, aucun bruit !
Compte jusqu’à cent, puis retrouve-moi à la maison ! »
    Il m’attendait à la porte.
    « Raconte-moi », explosai-je.
    Il prit son temps avant de répondre, du ton le
plus nonchalant qui soit :
    « Je suis arrivé, je suis entré, j’ai fait
mine de chercher quelqu’un, j’ai fait le tour des salles, puis je suis sorti.
    — Tu t’es déshabillé ?
    — Non.
    — Tu as vu des choses ?
    — Oui, plein.
    — Raconte, Dieu te fracasse ! »
    Il ne dit rien. Sa bouche ne dessinait pas le
moindre sourire, le moindre rictus. Mais ses yeux pétillaient de satisfaction
et de malice. Je me morfondais. J’avais envie de le rouer de coups.
    « Tu voudrais donc que je te supplie, que je
colle mon front contre tes babouches ? »
    Le Furet n’était nullement impressionné par mes
sarcasmes.
    « Même si tu me suppliais, même si tu te
prosternais à mes pieds, je ne te dirais rien. J’ai pris des risques, et toi,
tu as refusé d’en prendre. Si tu veux savoir ce qui se passe chez les femmes,
il faudra que tu m’accompagnes la prochaine fois. »
    J’étais atterré.
    « Parce que tu comptes y aller de
nouveau ? »
    Cela lui semblait si évident qu’il ne daigna même
pas répondre.
    Le lendemain, j’étais à mon poste, et cette fois
je le vis entrer. Il avait amélioré encore son accoutrement. Il ne s’était pas
contenté de s’envelopper d’une épaisse robe noire, mais il s’était noué autour
de la tête un foulard blanc, qui lui couvrait les cheveux, une partie du front
et des joues, et qui venait se nouer sous son

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