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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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villageois durent négocier :
quelques centaines de familles furent autorisées à partir et vinrent s’installer
à Fès ; quelques personnes se réfugièrent dans les montagnes, jurant qu’on
ne les retrouverait plus ; tous les autres reçurent le baptême. Plus
personne ne pouvait dire « Allahou akbar  » sur le sol de l’Andalousie,
où, huit siècles durant, la voix du muezzin avait appelé les fidèles à la
prière. Plus personne ne pouvait réciter la Fatiha sur la dépouille de
son père. Du moins en public, car ces musulmans convertis par la force
refusaient de renier leur religion.
    Ils firent parvenir à Fès des messages poignants. Frères, disait une de leurs lettres, si, à la chute de Grenade, nous
avons failli à notre devoir d’émigrer, c’était uniquement faute de moyens, car
nous sommes les plus pauvres et les plus affaiblis des Andalous. Aujourd’hui,
nous avons dû accepter le baptême pour sauver la vie de nos femmes et de nos
enfants, mais nous avons peur d’encourir la colère du Très-Haut le jour du
Jugement et de goûter aux tortures de la Géhenne. Aussi, nous vous supplions,
vous nos frères émigrés, de nous aider par vos conseils. Interrogez pour nous
les docteurs de la Loi sur ce que nous devrions faire, notre angoisse est sans
limite.
    Apitoyés, les émigrés grenadins de Fès tinrent
cette année-là de très nombreuses réunions, certaines dans la maison de Khâli.
Y assistèrent des notables, des gens du commun, mais surtout des ulémas versés
dans la Loi. Certains venaient de loin pour livrer le fruit de leur recherche
et de leur réflexion.
    Je me souviens ainsi d’avoir vu arriver un jour le
mufti d’Oran, un homme d’une quarantaine d’années au turban à peine moins
imposant que celui d’Astaghfirullah, mais qu’il arborait avec une certaine
bonhomie. Plus déférent qu’à son habitude, mon oncle l’accueillit au bout de la
rue, et, tout au long de la réunion, ceux qui étaient présents se contentèrent
de lui soumettre des questions sans jamais oser argumenter avec lui ou mettre
en doute ses réponses. Il est vrai que le problème, tel qu’il se posait,
nécessitait une grande maîtrise de la Loi et de la Tradition, ainsi qu’un grand
courage dans l’interprétation : accepter que des centaines de milliers de
musulmans renient la foi du Prophète était inconcevable ; demander à une
population entière de mourir sur les bûchers était monstrueux.
    Je me souviens encore des premières paroles de l’Oranais,
prononcées d’une voix chaude et sereine : « Frères, nous sommes ici,
Dieu soit loué, en pays d’islam, et nous portons fièrement notre foi comme un
diadème. Gardons-nous d’accabler ceux qui portent leur religion comme on porte
une braise dans la main. »
    Il poursuivit :
    « Quand vous leur ferez parvenir des
messages, que vos mots soient prudents et mesurés. Songez qu’avec votre lettre
on pourrait allumer leur bûcher. Ne les blâmez pas pour leur baptême ;
invitez-les seulement à rester, en dépit de tout, fidèles à l’islam, et à l’enseigner
à leurs fils. Mais pas avant la puberté, pas avant l’âge de garder un secret,
car un enfant peut dévoiler, par un mot imprudent, la vraie foi de ses parents
et causer ainsi leur perte. »
    Et si on contraignait ces malheureux à boire du
vin ? Et si on les invitait à manger de la viande de porc pour vérifier qu’ils
n’étaient plus musulmans ?
    « Qu’ils le fassent, s’ils y sont contraints,
dit le mufti, mais qu’ils protestent dans leurs cœurs. »
    Et si on leur proposait d’insulter le Prophète,
Dieu l’enveloppe de Sa prière et de Son salut ?
    « Qu’ils le fassent, s’il y sont contraints,
répéta-t-il, mais qu’ils disent le contraire dans leurs cœurs. »
    À ces hommes qui, faute d’avoir émigré, vivaient
la plus cruelle des tortures, le mufti donna le nom de Ghuraba, d’Étrangers,
se référant ainsi à la parole du Messager de Dieu : « L’islam a
commencé étranger et il finira étranger. Le Paradis est aux Étrangers. »
     
    *
     
    Pour appeler les musulmans de toutes les contrées
à sauver ces infortunés, la communauté grenadine de Fès décida d’envoyer des
émissaires auprès des principaux souverains de l’islam, le Grand Turc, le
nouveau Sophi de Perse, le sultan d’Égypte et plusieurs autres de moindre
importance. Étant donné les fonctions qu’il occupait à l’Alhambra, Khâli fut
désigné pour

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