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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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menton. Au-dessus, un voile
léger, transparent. Le déguisement était si parfait que je m’y serais trompé
une seconde fois.
    Quand je le retrouvai, il paraissait troublé. Je
lui demandai des nouvelles de son expédition, il refusa de répondre, malgré mon
insistance et mes cris. Son silence demeura tenace ; bientôt j’oubliai cet
épisode. Pourtant, c’est Haroun lui-même qui devait me le rappeler, des années
plus tard et en des termes qui resteront à jamais dans ma mémoire.
     
    *
     
    C’est vers la fin de cette année-là que mon oncle
revint de son périple. Dès qu’ils l’apprirent, les Andalous de Fès arrivèrent,
par groupes successifs, afin d’écouter son récit et de connaître les résultats
de sa mission. Il raconta dans le détail son voyage en mer, la crainte du
naufrage et des pirates, sa vision de Constantinople, le palais du Grand Turc,
les janissaires, sa tournée dans les diverses contrées d’Orient, la Syrie, l’Irak,
la Perse, l’Arménie, la Tartarie.
    Assez vite, toutefois, il en vint au plus
important.
    « Partout, mes hôtes se sont montrés
convaincus qu’un jour prochain les Castillans seront battus, avec la permission
du Très-Haut, que l’Andalousie redeviendra musulmane, et que chacun pourra revenir
dans sa maison. »
    Il ne savait pas quand ni dans quelles
circonstances, avoua-t-il, mais il pouvait témoigner de la puissance invincible
des Turcs, de la terreur qu’inspire à tout homme la vue de leurs troupes si
nombreuses. Il se montrait persuadé de leur intérêt immense pour le sort de
Grenade, de leur volonté de la délivrer des infidèles.
    De tous ceux qui étaient présents, je n’étais pas
le moins enthousiaste. Lorsque nous fûmes seuls, le soir, j’insistai auprès de
mon oncle :
    « Quand crois-tu que nous
reviendrons ? »
    Il n’eut pas l’air de saisir ce que je voulais
dire :
    « Revenir où ? »
    Je m’expliquai sa réaction par la fatigue du
voyage.
    « À Grenade, n’est-ce pas de cela que tu
parlais ? »
    Il me regarda longtemps, comme pour me jauger,
avant de dire, d’une voix lente et appuyée :
    « Hassan mon fils, tu es à présent dans ta
douzième année et je dois te parler comme à un homme (il hésita encore un
moment). Écoute-moi bien. Ce que j’ai vu en Orient, c’est que le Sophi de Perse
se prépare à guerroyer contre les Turcs, lesquels sont surtout préoccupés de
leur conflit avec Venise. Quant à l’Égypte, elle vient de recevoir des
Castillans un chargement de blé en signe d’amitié et d’alliance. Telle est la
réalité. Peut-être, dans quelques années, les choses auront-elles changé, mais,
aujourd’hui, aucun des souverains musulmans que j’ai rencontrés ne m’a paru
soucieux du sort des Grenadins, qu’il s’agisse de nous, les exilés, ou de ces
pauvres Étrangers. »
    Dans mes yeux, il y avait moins de déception que
de surprise.
    « Tu vas me demander, poursuivit Khâli,
pourquoi j’ai dit à ces gens qui étaient là le contraire de la vérité. Vois-tu,
Hassan, tous ces hommes ont encore, accrochée à leurs murs, la clé de leur
maison de Grenade. Chaque jour, ils la regardent, et la regardant ils soupirent
et prient. Chaque jour reviennent à leur mémoire des joies, des habitudes, une
fierté surtout, qu’ils ne retrouveront pas dans l’exil. Leur seule raison de
vivre, c’est de penser que bientôt, grâce au grand sultan ou à la Providence,
ils retrouveront leur maison, la couleur de ses pierres, les odeurs de son
jardin, l’eau de sa fontaine, intacts, inaltérés, comme dans leurs rêves. Ils
vivent ainsi, ils mourront ainsi, et leurs fils après eux. Peut-être
faudra-t-il que quelqu’un ose leur apprendre à regarder la défaite dans les
yeux, ose leur expliquer que pour se relever il faut d’abord admettre qu’on est
à terre. Peut-être faudra-t-il que quelqu’un leur dise la vérité un jour.
Moi-même, je n’en ai pas le courage. »

L’ANNÉE DES LIONS EN FURIE

906 de l’hégire (28 juillet
1500 – 16 juillet 1501)
     
    Ma sœur Mariam avait grandi à mon insu. Deux
longues séparations avaient fait d’elle une étrangère. Nous n’avions plus le
même toit, nous n’avions plus les mêmes jeux. Lorsque je la croisais, nos
paroles n’étaient plus complices, nos regards n’étaient pas entendus. Il a
fallu qu’elle m’appelle cette année-là du haut d’une mule pour que je la voie à
nouveau, pour que je la contemple, pour que je

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