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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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semaine. Il me souhaita du succès dans ma tâche ; je lui
souhaitai du succès dans la sienne.

L’ANNÉE DU HAMMAM

905 de l’hégire (8 août 1499 –
27 juillet 1500)
     
    « Quand je pense que tous ces gens se lavent
avec du fumier ! »
    Je mis quelques instants à réaliser ce que Haroun
venait de dire. Puis nous partîmes l’un et l’autre d’un rire bruyant. Mon ami n’avait
pas tort, car c’est bel et bien avec du fumier qu’était chauffée l’eau des
hammams de Fès.
    Ce jour-là, nous étions payés pour le savoir, le
patron du bain nous ayant envoyés, munis de deux mules et de quelques dirhams,
faire le tour des écuries du quartier et y acheter le fumier accumulé. Nous l’avions
transporté en dehors de la ville, à un endroit qu’il nous avait indiqué. Un
homme nous y attendait pour recevoir le chargement ; c’est lui qui s’occupait
d’étendre la précieuse récolte pour la sécher, ce qui prend un mois en été,
trois en hiver. Au retour, nous remportions un tas de fumier dur comme du bois
et prêt à brûler. C’est avec cela que la chaudière du hammam était alimentée. C’est
dire si, une fois déchargée la dernière cargaison, nous avions sur nous, Haroun
et moi, la couleur et l’odeur de ce que nous avions transporté.
    Nous nous étions donc hâtés de quitter nos habits
pour nous précipiter dans la salle d’eau chaude. Notre aventure nous amusait.
Dès que nous rencontrions un ami dans l’étuve, nous prenions plaisir à lui
demander si son eau ne lui semblait pas différente ce jour-là.
    Pour tous les gens de la ville, le hammam est le
plus agréable des lieux de rendez-vous. Ils quittent leurs vêtements dans les
cabines, près de la porte d’entrée, puis se rassemblent tout nus, sans aucune
honte. Jeunes écoliers, ils parlent de leurs maîtres, se racontent leurs
facéties en passant sous silence les fessées consécutives. Adolescents, ils
parlent de femmes, s’accusant mutuellement de languir pour l’une ou l’autre,
vantant chacun ses exploits amoureux. Adultes, ils deviennent plus réservés sur
cet article, mais échangent conseils et recettes destinés à améliorer les
effets de leur corps, un sujet inépuisable et une mine d’or pour les
charlatans. Le reste du temps, ils parlent dinars, discutent religion et
politique, la voix haute ou basse selon les opinions qu’ils professent.
    Souvent, les hommes du quartier se rencontrent au
hammam pour déjeuner. Certains arrivent avec leur repas, d’autres demandent à
un garçon d’étuve d’aller leur acheter quelque chose au marché voisin. Mais ils
ne prennent pas immédiatement leur collation. Ils passent d’abord à la salle
tiède, où les garçons les lavent et les frictionnent avec des huiles et des
onguents. Ils se reposent un peu, couchés sur un tapis de feutre, la tête sur
un traversin de bois également couvert de feutre, avant d’entrer dans la salle
chaude où ils transpirent. Puis ils reviennent à nouveau vers la salle tiède,
se lavent encore et se reposent. C’est alors seulement qu’ils se dirigent vers
la salle fraîche, s’assoient autour de la fontaine, pour manger, bavarder et
rire, ou même chanter.
    La plupart d’entre eux restent nus jusqu’à la fin
du repas, à l’exception des personnages importants qui évitent de se montrer
ainsi, gardent une serviette autour des hanches et ne l’enlèvent que dans les
salles particulières qui leur sont réservées, des salles toujours
impeccablement tenues. C’est là qu’ils reçoivent leurs amis, c’est là qu’ils se
font masser ; c’est également là que vient le barbier pour leur proposer
ses services.
    Et puis il y a les femmes. Un certain nombre de
hammams leur sont entièrement réservés, mais la plupart servent aux deux sexes.
Dans les mêmes locaux, mais pas aux mêmes heures. Là où je travaillais, les
hommes venaient de trois heures du matin à deux heures de l’après-midi. Le
reste de la journée, les garçons d’étuve étaient remplacés par des négresses,
qui plaçaient une corde au travers de la porte pour indiquer aux hommes qu’ils
ne pouvaient plus entrer, et si l’un d’eux avait besoin de dire un mot à son
épouse, il appelait une des employées pour qu’elle fasse la commission.
    Chaque fois que nous devions céder la place,
chaque fois que nous regardions la corde se tendre et les femmes arriver,
Haroun et moi nous demandions ce qui pouvait bien se passer au hammam au

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