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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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caillé, ou bien flâner du côté de la place des Prodiges où notre
curiosité était rarement déçue. Si le Furet était absent pour une course, je
traversais le marché aux fleurs pour aller voir Mariam.
    Nous étions convenus qu’elle placerait un brin d’herbe
noué dans une fente du mur extérieur chaque fois que mon père se trouverait à
la campagne pour la semaine. Un jour, c’était vers la fin de safar, le
deuxième mois de l’année, j’étais passé ; le brin noué était là. J’agitai
la sonnette. Warda cria de l’intérieur :
    « Mon mari est absent. Je suis seule avec ma
fille. Je ne peux pas ouvrir.
    — C’est moi, Hassan ! »
    Confuse, elle m’expliqua que des hommes étaient
venus quelques minutes plus tôt ; ils avaient frappé à la porte avec
insistance, exigeant qu’elle les fasse entrer. Elle avait peur, Mariam
également, qui me parut pâle et frêle.
    « Que se passe-t-il dans cette maison ?
Vous avez l’air d’avoir pleuré toutes deux. »
    Leurs larmes coulèrent à nouveau ; mais Warda
se reprit aussitôt :
    « Depuis trois jours, c’est l’enfer. Nous n’osons
plus sortir dans la rue. Les voisins viennent sans arrêt me demander si c’est
vrai que… »
    Sa voix s’étrangla, et ce fut Mariam qui
poursuivit, l’air absent :
    « Ils demandent si je suis atteinte par le
mal. »
    Quand on dit « le mal », à Fès, c’est la
lèpre qu’on désigne, et quand on dit « le quartier », sans autre
précision, c’est celui des lépreux.
    Je n’avais pas encore réalisé ce qu’elles venaient
de me dire quand j’entendis tambouriner sur la porte.
    « Au nom du sultan, police ! Vous n’êtes
plus seules maintenant ! Il y a un homme qui vient d’entrer. Il peut nous
parler. »
    J’ouvris. Ils n’étaient pas moins de dix
personnes, un officier, quatre femmes voilées de blanc, les autres des soldats.
    « C’est bien ici qu’habite Mariam, fille de
Mohamed al-Wazzan le Grenadin ? »
    L’officier déroula un papier.
    « Ceci est un ordre du cheikh des lépreux.
Nous devons emmener la dénommée Mariam au quartier. »
    Dans mon esprit, une seule idée tournoyait :
« Si ce pouvait être un vulgaire cauchemar ! » Je m’entendis
dire :
    « Mais ce ne sont que des calomnies !
Elle n’a jamais eu une seule tache sur le corps ! Elle est pure comme un
verset révélé !
    — C’est ce que nous verrons. Ces quatre
femmes sont mandatées pour l’examiner sur-le-champ. »
    Elles entrèrent avec elle dans une chambre. Warda
essaya de les suivre, mais on l’en empêcha. Moi-même, je restai dehors, l’esprit
embrumé, mais tentant quand même de faire entendre raison à l’officier. Il me
répondait calmement, faisait mine d’adhérer à mes vues, mais finissait par
dire, au bout de chacune de mes tirades, qu’il était fonctionnaire, qu’il avait
un ordre à exécuter, qu’il fallait s’adresser au cheikh des lépreux.
    Au bout de dix minutes, les femmes sortirent de la
chambre ; deux d’entre elles tenaient Mariam par les aisselles et la
traînaient. Ses yeux étaient ouverts mais son corps était flasque ; pas un
son ne sortait de sa gorge ; elle semblait incapable de réaliser ce qui
lui arrivait. L’une des femmes chuchota deux mots à l’oreille de l’officier ;
celui-ci fit signe à l’un de ses hommes, qui jeta sur Mariam un tissu grossier
couleur de terre.
    « Ta sœur est malade. Nous devons l’emmener. »
    J’essayai de m’interposer ; ils m’écartèrent
rudement. Et le sinistre cortège s’ébranla. Au bout de l’impasse, des badauds s’étaient
rassemblés. Je criai, menaçai, gesticulai. Mais Warda me suivit, suppliante.
    « Rentre, par le Ciel ! Il ne faut pas
ameuter tout le voisinage. Ta sœur pourrait ne plus jamais se marier. »
    Je revins vers la maison, claquai la porte et me
mis à marteler le mur avec mes poings, insensible à la douleur. Warda s’approcha
de moi. Elle sanglotait, mais son esprit demeurait clair.
    « Attends qu’ils s’éloignent, puis tu iras
parler à ton oncle. Il a des relations au palais. Il pourra la faire
revenir. »
    Elle m’agrippa par la manche et me tira en
arrière.
    « Calme-toi, tes mains sont écorchées. »
    Mes bras s’abattirent lourdement sur les épaules
de Warda, que j’étreignis rageusement, sans pourtant desserrer les poings,
comme si je continuais à marteler le mur. Elle s’affaissa contre moi. Ses
larmes coulaient dans mon

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