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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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sans délai les dinars qu’il lui avait avancés, que le peseur et tous
les siens regretteraient bientôt amèrement ce qui avait été fait. Atterré,
Mohamed essaya de protester de son innocence, mais il fut expulsé sans ménagement
par les gardes du corps.
    Souvent, quand un mariage est annulé ainsi au
dernier moment dans un climat de rancœur, et surtout quand le fiancé se sent
bafoué, il fait courir le bruit que sa promise n’était pas vierge, ou que ses
mœurs étaient légères, pour qu’elle ne puisse plus trouver mari. Je n’aurais
pas été surpris si le bandit éconduit avait réagi ainsi, tant il se sentait
humilié.
    Mais jamais, dans mes pires cauchemars, je n’aurais
pu imaginer la vengeance que le Zerouali méditait.

L’ANNÉE DU BRIN NOUÉ

909 de l’hégire (26 juin
1503 – 13 juin 1504)
     
    Cette année-là avait débuté glissante, paisible et
studieuse. Le Jour de l’An, survenu en plein été, on pataugeait dans les rues
tant elles avaient été aspergées d’eau les nuits précédentes à l’occasion du Mihrajan. À chaque pas manqué, à chaque mare de boue, je pensais à mon père, qui
détestait tellement cette fête et les coutumes qui s’y rapportaient.
    Je ne l’avais plus revu depuis notre dispute,
puisse Dieu me pardonner un jour ! mais je demandais régulièrement de ses
nouvelles à Warda et Mariam. Leurs réponses étaient rarement réconfortantes. S’étant
ruiné pour doter richement ma sœur, se retrouvant à la fois endetté, frustré de
ses rêves et privé de l’affection des siens, Mohamed cherchait l’oubli dans les
tavernes.
    Pourtant, aux premières semaines de l’année, il
semblait en voie de se remettre, lentement, de la rupture avec le Zerouali. Il
avait fini par louer, au sommet d’une montagne, à six milles de Fès, une
demeure ancienne, quelque peu délabrée mais avec une vue superbe sur la cité,
et de vastes terrains où il jurait de produire les meilleurs raisins et les
meilleures figues du royaume ; je le soupçonnais de vouloir également
tirer son propre vin, bien que la montagne appartînt au domaine de la Grande
Mosquée. Projets certes plus modestes que la culture de la soie ; du moins
ne mettaient-ils pas mon père à la solde d’un bandit comme le Zerouali.
    Ce dernier ne s’était plus manifesté depuis des
mois. Avait-il oublié sa mésaventure, avait-il passé l’éponge, lui dont on
disait qu’il gravait dans le marbre la plus petite injure ? Il m’arrivait
de m’interroger, inquiétudes passagères que balayaient mes occupations fort
absorbantes d’étudiant.
    Mon temps se passait dans les salles de cours, à
la mosquée des Karaouiyines, de minuit à une heure et demie, conformément à l’horaire
d’été, le reste de la journée au plus célèbre collège de Fès, la médersa Bou-Inania ;
je dormais dans les intervalles, un peu aux aurores, un peu l’après-midi ;
l’inaction m’était insupportable, le repos me semblait superflu, j’avais quinze
ans à peine, un corps à secouer, un monde à connaître, et la passion de la
lecture.
    Nos professeurs nous faisaient étudier chaque jour
des commentaires du Coran ou de la Tradition du Prophète, et une discussion s’engageait.
Des Écritures nous passions souvent à la médecine, à la géographie, aux
mathématiques ou à la poésie, parfois même à la philosophie ou à l’astrologie,
malgré l’interdiction formelle de ces matières par le souverain. Nous avions la
chance d’avoir pour maîtres des hommes versés dans tous les domaines de la
connaissance. Pour se distinguer du commun, certains enroulaient leurs turbans
autour de calottes hautes et pointues, semblables à celles que j’allais voir
portées par les médecins lors de mon séjour à Rome. Nous les étudiants avions
un simple bonnet.
    En dépit de leur savoir et de leur accoutrement,
nos professeurs étaient pour la plupart des hommes aimables, patients dans l’explication,
attentifs aux talents de chacun. Parfois, ils nous invitaient chez eux, pour
nous montrer leur bibliothèque ; l’un avait cinq cents ouvrages, un autre
mille, un autre encore plus de trois mille, et ils nous encourageaient à
soigner notre calligraphie pour pouvoir copier les livres les plus précieux,
car c’est ainsi, insistaient-ils, que se diffuse le savoir.
    Quand j’avais un moment entre deux cours, je
marchais jusqu’à la station des portefaix. Si j’y trouvais Haroun, nous allions
boire un lait

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