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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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effectivement
mal réveillé.
    « Le Zerouali ?
    — Lui-même, et ne me regarde pas avec ces
yeux. Lève-toi et suis-moi ! »
    En route, il m’expliqua le stratagème. Ce n’est
pas à la porte du riche bandit qu’il fallait frapper, mais à celle d’un vieil
homme qui n’avait rien à voir, de près ni de loin, avec le mariage de ma sœur.
Et qui pourtant était le seul à pouvoir encore l’empêcher.
    Astaghfirullah.
    Il nous ouvrit lui-même. Je ne l’avais jamais vu
sans son turban. Il paraissait presque nu, et deux fois plus menu. Il n’était
pas sorti de la journée, car il avait depuis deux vendredis le mal de flanc. Il
avait soixante-dix-neuf ans, nous dit-il, et il estimait qu’il avait
suffisamment vécu, « mais Dieu est seul juge ».
    La visite de deux gamins à la mine déconfite l’intriguait.
    « J’espère que vous ne venez pas m’apprendre
une mauvaise nouvelle. »
    Haroun prit la parole. Je le laissai faire. Cette
initiative était la sienne. À lui de la mener jusqu’au bout.
    « Une mauvaise nouvelle, si, mais pas un
décès. Un mariage contraire à la Loi de Dieu, n’est-ce pas une mauvaise
nouvelle ?
    — Qui se marie ?
    — La sœur de Hassan, Mariam…
    — La fille de la Roumiyya ?
    — Peu importe sa mère. Puisque le peseur est
musulman, sa fille est musulmane. »
    Le cheikh regardait le Furet avec affection.
    « Qui es-tu ? Je ne te connais pas.
    — Je suis Haroun, fils d’Abbas le portefaix.
    — Continue. Tes paroles me plaisent. »
    Encouragé, mon ami expliqua l’objet de notre
démarche. Il ne s’attarda pas sur le sort des femmes du Zerouali, car il savait
que cet argument toucherait peu Astaghfirullah. En revanche, il évoqua la
débauche du fiancé, ses rapports avec ses anciennes épouses, puis il s’arrêta
longuement sur son passé, sur le massacre des voyageurs, « surtout les
premiers émigrés andalous », sur le pillage du Rif.
    « Ce que tu dis suffit à envoyer un homme
dans le feu de l’Enfer jusqu’à la fin des temps. Mais quelles preuves
as-tu ? Quels témoins peux-tu citer ? »
    Haroun se fit tout humble :
    « Mon ami et moi sommes trop jeunes, nous
venons tout juste de passer la Grande Récitation, et notre parole ne pèse pas
lourd. Nous ne connaissons pas grand-chose à la vie, et il se peut que nous
soyons indignés par des actes qui, aux yeux du reste des gens, paraissent
habituels. Maintenant que nous avons dit tout ce que nous savons, maintenant
que nous avons déchargé notre conscience, c’est à toi, notre vénérable cheikh,
de voir ce qui doit être fait. »
    Quand nous fûmes dehors, je regardai le Furet d’un
air dubitatif. Il paraissait sûr de son fait.
    « Ce que je lui ai dit, je le pense vraiment.
Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir. Nous n’avons plus qu’à
attendre. »
    Mais sa mine enjouée disait autre chose.
    « J’ai l’impression que tu jubiles,
observai-je, et je n’en vois pas du tout la raison.
    — Astaghfirullah ne me connaissait peut-être
pas, mais moi je le connais depuis des années. Et je fais confiance à son
exécrable caractère. »
    Le lendemain, le cheikh semblait guéri. On vit son
turban circuler fébrilement dans les souks, s’agiter sous les portiques, avant
de s’engouffrer dans un hammam. Le vendredi suivant, à l’heure de la plus grande
affluence, il prit la parole dans sa mosquée habituelle, la plus fréquentée par
les émigrés andalous. Le plus candidement du monde, il se mit à raconter
« la vie exemplaire d’un homme fort respecté que je ne nommerai
pas », évoquant le banditisme, le pillage, la débauche, avec des allusions
si précises que toute l’assistance finit par chuchoter le nom du Zerouali, bien
qu’il n’ait pas été prononcé une seule fois.
    « Tels sont les hommes que les croyants
respectent et admirent en ces temps de déchéance ! Tels sont les hommes
auxquels vous êtes fiers d’ouvrir les portes de vos maisons ! Tels sont
les hommes auxquels vous sacrifiez vos filles comme à des divinités d’avant l’islam ! »
    Avant la fin de la journée, toute la ville ne
parlait que de cet incident. Au Zerouali lui-même, on rapporta mot à mot les
propos du cheikh. Sur-le-champ, il envoya chercher mon père, insulta devant lui
Grenade et tous les Andalous, lui signifia, en bégayant de rage, qu’il n’était
plus question d’accord, de mariage, ni de vers à soie, qu’il le sommait de
restituer

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