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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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tenture de la fenêtre, cherchant quelque
courage dans l’obscurité.
    Hiba. Même si la terre d’Afrique ne m’avait offert
que ce cadeau, elle aurait mérité pour toujours ma nostalgie.
    Le matin, en dormant, mon amante avait ce même
sourire que j’avais deviné toute la nuit, et cette même odeur d’ambre gris.
Penché au-dessus de son front lisse et serein, je la couvrais de promesses
émues et silencieuses. De la fenêtre me parvenaient à nouveau des bruits,
palabres de vendeuses, crissements de paille, tintements de cuivre, cris de
bêtes, ainsi que des odeurs portées par un vent léger mais frais qui soulevait
timidement la tenture. Je chérissais tout, je bénissais tout, le Ciel, le
désert, la route, Tombouctou, le seigneur d’Ouarzazat, et même cette douleur
qui, discrètement, me tiraillait le corps, privilège de mon premier voyage,
ardent et maladroit, au bout d’une inconnue.
    Elle ouvrit les yeux, puis les referma aussitôt,
comme si elle craignait d’interrompre ma rêverie. Je murmurai :
    « Nous ne nous quitterons
jamais ! »
    Dans le doute, elle sourit. Je posai mes lèvres
sur les siennes. Ma main glissa à nouveau le long de sa peau pour ranimer les
souvenirs de la nuit. Mais à la porte on frappait déjà. Je répondis sans
ouvrir. C’était un serviteur envoyé par mon oncle pour me rappeler que nous
étions attendus au palais. Je devais assister, en habit d’apparat, à la
présentation des lettres.
     
    *
     
    À la cour de Tombouctou, le rituel est précis et
somptueux. Quand un ambassadeur obtient une entrevue avec le maître de la
ville, il doit s’agenouiller devant lui, la face frôlant le sol, ramasser de la
main un peu de terre et s’en asperger la tête et les épaules. Les sujets de ce
prince doivent faire de même, mais seulement la première fois qu’ils lui
adressent la parole ; pour les entrevues suivantes, le cérémonial se
simplifie. Le palais n’est pas grand, mais son aspect est fort
harmonieux ; il a été construit il y a près de deux siècles par un
architecte andalou connu sous le nom d’Ishak le Grenadin.
    Bien qu’il soit le vassal de l’Askia Mohamed
Touré, roi de Gao, du Mali et de bien d’autres contrées, le maître de
Tombouctou est un personnage considérable, respecté dans tout le pays des
Noirs. Il dispose de trois mille cavaliers et d’une infinité de fantassins
armés d’arcs et de flèches empoisonnées. Quand il se déplace d’une ville à l’autre,
il monte à chameau, ainsi que les gens de sa cour, qui sont accompagnés de
chevaux conduits en main par des estafiers. S’il rencontre des ennemis et qu’il
doive se battre, le prince et ses soldats sautent de leurs chevaux, tandis que
les estafiers entravent les chameaux. Lorsque le prince remporte une victoire,
toute la population qui lui avait fait la guerre est capturée et vendue,
adultes et enfants ; c’est pourquoi on trouve dans les maisons de la ville,
même si elles sont modestes, un grand nombre d’esclaves domestiques, mâles et
femelles. Certains maîtres utilisent ces dernières pour écouler divers produits
dans les souks. On les reconnaît aisément, car ce sont les seules femmes de
Tombouctou à ne pas se voiler. Une bonne partie du petit commerce est entre
leurs mains, surtout l’alimentation et tout ce qui s’y rapporte, activité
particulièrement lucrative car les habitants de la cité se nourrissent
bien : les grains et les bestiaux s’y trouvent en abondance ; la
consommation de lait et de beurre est considérable. Seul est rare le sel, et,
plutôt que d’en répandre sur les aliments, les habitants en tiennent à la main
des morceaux qu’ils lèchent de temps en temps entre deux bouchées.
    Les citadins sont souvent riches, surtout les
marchands, fort nombreux à Tombouctou. Le prince les traite avec égards, même
quand ils ne sont pas du pays – il a même donné deux de ses filles en
mariage à deux commerçants étrangers en raison de leur fortune. On importe à Tombouctou
toutes sortes de produits, notamment des étoffes d’Europe qui se vendent bien
plus cher qu’à Fès. Pour les transactions, on n’utilise pas de monnaie frappée,
mais des morceaux d’or pur ; les petits paiements s’effectuent avec des
cauris, qui sont des coquillages en provenance de Perse ou des Indes.
    Je passais mes journées à déambuler dans les
souks, à visiter les mosquées, m’efforçant de discuter avec toute personne
connaissant quelques

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