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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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mots d’arabe et notant parfois le soir, dans ma chambre,
ce que j’avais observé, sous le regard admiratif de Hiba. Notre caravane devait
rester une semaine à Tombouctou, avant de se diriger vers Gao, résidence de l’Askia,
ultime étape de notre voyage. Mais, une fois de plus, sans doute en raison des
fatigues de la route, mon oncle tomba malade. La fièvre quarte le reprit la
veille même du départ. J’étais à nouveau nuit et jour à son chevet et je dois
avouer que plus d’une fois j’ai perdu tout espoir en sa guérison. Le seigneur
de la ville lui envoya son médecin, un très vieux nègre, à barbe blanche en
collier, qui avait lu les ouvrages des Orientaux ainsi que ceux des Andalous.
Il prescrivit une diète sévère et prépara des décoctions dont je ne saurais
dire si elles furent efficaces ou seulement inoffensives, car l’état de mon
oncle ne connut pendant trois semaines, ni amélioration durable, ni
détérioration fatale.
    Quand arriva la fin du mois de shawwal, Khâli décida, en dépit de son extrême faiblesse, de revenir sans tarder vers
Fès ; les grandes chaleurs s’annonçaient, qui nous auraient interdit la
traversée du Sahara avant l’année suivante. Comme je tentais de l’en dissuader,
il m’expliqua qu’il ne pouvait s’absenter deux ans pour une mission qui aurait
dû s’achever en cinq ou six mois, qu’il avait déjà dépensé tout l’argent qui
lui avait été alloué ainsi que le sien propre, et qu’en tout état de cause, si
le Très-Haut avait décidé de le rappeler à Lui, il préférait mourir au milieu
des siens plutôt qu’en terre étrangère.
    Ses raisons étaient-elles bonnes ? Je ne me
permettrais pas d’en juger après tant d’années. Je ne peux cacher toutefois que
le voyage du retour fut un supplice pour toute la caravane, car mon oncle fut,
dès le septième jour, incapable de se tenir sur le dos de son chameau. Nous
aurions encore pu rebrousser chemin, mais il nous l’interdit. Nous n’avions pas
d’autre solution que de l’installer sur un brancard de fortune, que gardes et
serviteurs se relayèrent pour porter. Il rendit l’âme avant que nous ayons
atteint Teghaza, et il fallut l’enterrer dans le sable brûlant au bord de la
route, puisse Dieu lui réserver dans Ses vastes jardins un havre plus
ombragé !

L’ANNÉE DU TESTAMENT

912 de l’hégire (24 mai 1506 –
12 mai 1507)
     
    J’avais quitté Fès dans les bagages de mon oncle,
sans autre tâche que de le suivre, de l’écouter et d’apprendre dans son
sillage ; j’y retournais cette année-là les mains chargées d’une ambassade
inachevée, d’une caravane à la dérive et de la plus belle femme qui ait jamais
poussé dans le désert de Numidie.
    Mais le plus lourd à porter était une lettre. Au
départ de Tombouctou, j’avais vu Khâli l’écrire. Il profitait du moindre arrêt
pour retirer de sa ceinture encrier et calame et se mettre à griffonner
lentement, d’une main que la fièvre rendait tremblante et incertaine. Tous nos compagnons
l’observaient de loin, sans jamais le déranger, pensant qu’il notait ses
impressions de voyage à l’intention du sultan. C’est après sa mort, en
cherchant dans ses papiers, que je découvris la lettre, enroulée, attachée avec
un fil doré, et qui commençait par ces mots :
     
    Au nom d’Allah, le clément, le miséricordieux,
maître du jour du Jugement, Celui qui envoie aux hommes dont la vie s’achève
des signes dans leur corps et dans leur esprit afin qu’ils s’apprêtent à
rencontrer Sa face resplendissante.
    C’est à toi, Hassan, mon neveu, mon fils, que
je m’adresse, toi à qui je ne laisse en héritage ni mon nom ni ma modeste
fortune, mais uniquement mes soucis, mes erreurs et mes vaines ambitions.
     
    Son premier legs fut la caravane. Ses
ressources s’épuisent, sa route est encore longue, son chef se meurt, et c’est
vers toi que se tourneront les hommes, et c’est de toi qu’ils attendront à
chaque instant l’ordre le plus juste, l’opinion la plus sage, et que tu les
mènes à bon port. Tu devras tout sacrifier pour que ce voyage se termine dans
la dignité.
    Il me fallut, dès les premières oasis, remplacer
trois chameaux malades, renouveler les provisions, payer les services de deux
guides qui nous quittaient à Segelmesse, distribuer quelques dirhams aux
soldats pour leur rendre l’étape agréable et les calmer jusqu’à la suivante,
offrir quelques cadeaux aux

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