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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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je demeurai pétrifié, la main
crispée sur la lettre. Devant mes yeux figés repassaient des images lointaines
où je me voyais enfant, avec ma mère et Sarah, dans la boutique du
libraire-astrologue, dont la voix retentissait à mes oreilles :
     
    La mort va passer, puis les vagues de la mer,
    Alors reviendront la femme et son fruit.
     
    À mon retour à Fès, mes parents étaient remariés,
et ils furent tout étonnés et déçus que je n’en sois pas surpris. Je me suis
bien gardé de leur demander par quel moyen ils avaient détourné l’interdit.
     
    *
     
    La lettre de Khâli poursuivait : Je laisse
également entre tes mains mon ambassade, bien que ce ne soit pas à moi qu’elle
appartienne mais au souverain qui m’en a investi. Grâce à cette mission, j’espérais
me rapprocher de lui, mais, par le sol qui recouvre mon père ! c’était
moins pour acquérir faveurs et richesses que pour aider les miens. N’est-ce pas
en intercédant en faveur de ta sœur que j’ai connu le prince ? C’est aussi
à elle que tu dois penser en courtisant le monarque. Quand tu seras en sa
présence, offre-lui les cadeaux qui lui reviennent, puis rapporte-lui, en
langage soigné, les fruits de tes observations sur Tombouctou ; dis-lui
surtout qu’au pays des Noirs les royaumes sont nombreux, qu’ils se battent
constamment entre eux, mais que jamais ils ne cherchent à s’étendre au-delà.
Quand tu auras retenu son attention et gagné son estime, parle-lui de Mariam, à
moins qu’elle ne soit déjà libre au moment où j’écris ces lignes.
     
    Elle ne l’était pas, comme me l’apprit Haroun,
venu m’accueillir à l’arrivée de la caravane, aux portes du palais. C’est là
que je devais rendre les montures au commissaire des chameaux, déposer les
cadeaux auprès du capitaine des estafiers, en attendant mon entrevue avec le
souverain. Une fois achevées ces formalités, je revins chez moi à pied, bavardant
avec Haroun, lui racontant la maladie de mon oncle puis sa mort, évoquant mes
souvenirs de Segelmesse et de Tombouctou, sans oublier Hiba, qui me suivait à
quelques pas respectueux et qui portait mes bagages. Le Furet me rapporta les
derniers échos de Fès : Astaghfirullah était mort, ainsi que Hamza le
barbier, Dieu leur prodigue miséricorde ! Ahmed-le-Boiteux était rentré
dans sa province, au sud de Marrakech, où il menait avec son frère une petite
troupe de moujahidines qui se battaient contre les Portugais.
    Au domicile de Khâli, les femmes portaient déjà le
noir, la triste nouvelle étant arrivée bien avant la caravane. Salma était là,
que ma venue enchanta et qui s’empressa de me raconter en chuchotant son
remariage. Elle demeurait toujours chez mon oncle, pour ne pas laisser seule ma
jeune cousine, peut-être aussi pour ne pas se retrouver avec Warda sous le même
toit. Mohamed partageait son temps entre trois habitations, celles de ses
femmes et sa maison de campagne, autour de laquelle ses cultures prospéraient.
    Je vis également Fatima, que le deuil n’avait
évidemment pas rendue moins grincheuse ni plus fraîche et qui eut à mon adresse
un regard éploré. D’instinct, je me retournai pour voir si Hiba était derrière
moi. Sensation curieuse, je me retrouvais en train de répéter les gestes de mon
père, pris comme lui entre deux femmes, une esclave enjouée, une cousine en
pleurs.
    Le lendemain, je repartis au palais, où l’on m’accorda
une audience pour le jour même, par égard au deuil qui frappait ma famille. Je
ne fus toutefois pas reçu en privé. Le souverain avait autour de lui le
capitaine des estafiers, le chancelier, garde du sceau royal, le maître des
cérémonies ainsi que d’autres courtisans, tous bien plus somptueusement vêtus
que le monarque lui-même et qui conversaient tranquillement entre eux pendant
que je débitais, ému, des phrases laborieusement préparées. De temps en temps,
le sultan tendait l’oreille à quelque murmure, tout en m’indiquant de la main
que je ne devais pas m’interrompre. Vu l’immense intérêt que mes propos
suscitaient, je les abrégeai autant que possible, puis me tus. Le monarque s’en
rendit compte quelques chuchotements plus tard, se dit étonné de mon éloquence,
une façon de me rappeler mon jeune âge. Il me demanda de transmettre ses condoléances
aux miens, me débita quelques mots au sujet de mon oncle, « notre fidèle
serviteur », et termina en souhaitant me revoir lors d’une

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