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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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notables qui nous hébergeaient, le tout à partir d’une
caisse où il n’y avait plus que dix-huit dinars, le reliquat d’une somme
empruntée par mon oncle à un marchand andalou qui avait fait un bout de chemin
avec nous à l’aller. J’aurais pu contracter à mon tour une dette, mais, en
raison de notre départ précipité de Tombouctou, aucun commerçant n’avait eu le
temps de se joindre à nous, si bien que j’étais, dans mon dénuement, le moins
pauvre des voyageurs. Je dus me résoudre à vendre divers cadeaux reçus par
Khâli au cours du voyage, notamment les deux esclaves offerts par le seigneur d’Ouarzazat,
et qui rapportèrent une quarantaine de dinars. Pour pouvoir garder Hiba sans
encourir blâme ni sarcasmes, je fis courir le bruit qu’elle était enceinte de
moi, ce dont je ne savais rien ; mais je dus vendre son cheval, écrin
inutile et encombrant pour la traversée du désert.
    Le deuxième legs, mon oncle me le présentait par le
biais d’une parabole des temps anciens. On demanda un jour à une Bédouine
lequel de ses enfants elle aimait le mieux. Elle répondit : le malade
jusqu’à ce qu’il guérisse ; le petit jusqu’à ce qu’il grandisse ; le
voyageur jusqu’à ce qu’il revienne. Je savais Khâli préoccupé depuis
longtemps par le sort de la plus jeune de ses filles, Fatima, née à Fès l’année
qui avait précédé notre arrivée, et dont la mère, la seule épouse que Khâli ait
jamais eue, était morte en la mettant au monde. L’enfant avait été élevée par
ma grand-mère, puis, après le décès de celle-ci, par ma mère, car mon oncle n’avait
jamais voulu se remarier, craignant sans doute qu’une marâtre ne se montrât
injuste à l’égard de ses filles. Âgée de douze ans à la mort de son père,
Fatima m’avait toujours semblé chétive, grincheuse et sans la moindre
fraîcheur. Khâli ne m’avait jamais clairement invité à l’épouser, mais je
savais qu’elle m’était destinée, puisqu’il est dans l’ordre des choses qu’un
cousin prenne dans son giron l’une de ses cousines, la plus belle parfois, mais
souvent aussi celle qu’on peut le moins facilement caser ailleurs.
    Je m’y résignai donc, sachant que j’accomplissais
ainsi le vœu le plus cher de mon oncle, celui de ne laisser à sa mort aucune de
ses filles sans mari. Pour les quatre premières, il avait procédé avec
méthode : l’aînée avait obtenu la chambre la plus vaste de la maison, et
ses sœurs n’avaient plus eu d’autre rôle que de s’occuper d’elle, comme des
servantes. Seule, elle avait eu droit à des habits neufs, à des bijoux, jusqu’au
moment où elle s’était mariée. La puînée l’avait remplacée alors dans la grande
chambre, accaparant ainsi les honneurs ; les autres avaient suivi, à l’exception
de Fatima, trop jeune encore et qui m’était réservée.
     
    Mon troisième legs te revient de droit, puisqu’il
s’agit de ta mère, qui vit sous mon toit depuis dix ans déjà, refusant comme
moi de se remarier. Elle n’est plus jeune à présent, et son seul bonheur serait
que ton père la reprenne. Je sais qu’il en a l’intention, mais Mohamed a ce
défaut de prendre trop vite les mauvaises décisions et trop lentement les
bonnes. Je ne te l’ai pas dit : la veille de notre départ, laissant de
côté tout amour-propre, j’ai mis cette question sur le tapis devant ton père,
sans détour. Il m’a répondu qu’il y songeait constamment depuis notre
réconciliation. Il avait même demandé l’avis d’un imam, qui lui avait expliqué
qu’il ne pouvait reprendre une femme dont il avait divorcé à moins qu’elle ne
se soit remariée entre-temps. J’ai donc suggéré que Salma fasse un mariage avec
un de nos familiers, qui s’engagerait à ne pas le consommer et à la répudier
aussitôt. J’ai raconté également l’histoire de ce prince andalou qui avait
voulu reprendre son ancienne épouse et qui ne supportait pas l’idée de la voir
unie à un autre, même de manière fictive. Il avait interrogé un cadi de son
entourage qui lui avait trouvé une solution plus digne d’un poète que d’un
docteur de la Loi. La femme devait aller de nuit sur une plage, s’y étendre nue
et laisser les vagues envelopper son corps, comme si elle s’abandonnait aux
effluves d’un homme. Le prince pouvait désormais la reprendre sans enfreindre
la Loi. Notre discussion s’est alors noyée dans le rire.
     
    Plutôt que de rire,

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