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L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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de part et d’autre de la Somme, le va-et-vient des manants sur les berges du Novion, de la Sautine et du Scardon allégèrent cette chape de morosité qui engonçait les trois chevaliers depuis leur débarquement. Ils s’enfoncèrent dans les rues bordées de maisons à pignons et colombages dont les encorbellements atténuaient la luminosité d’un ciel d’azur auquel, selon Barbeyrac, il ne manquait que des lis.
    — Avant Crécy, je suis passé dans cette rue, dit Loïs de Saveuse.
    — Moi, également… Nous nous sommes peut-être rencontrés.
    — La peste n’est pas à Abbeville, dit Barbeyrac. Je vois des manants qui sourient… Tenez, tendez l’oreille : une femme chante…
    — Ne nous fions à rien, dit Ogier.
    — Que faisons-nous ? demanda Saveuse. Il ne doit pas manquer céans d’hôtelleries. De plus, c’est moi qui paye…
    — Garde-toi de révéler d’où vient ta fortune, conseilla Ogier au Cambrésien.
    — Je ne suis pas fou… C’est pourtant de la monnaie divine !
    En menant son cheval hors de l’église abandonnée, Saveuse avait aperçu, parmi les tuiles émiettées, le couvercle d’un tronc sans doute consacré à Notre-Dame dont la tête gisait à proximité. Il avait défoncé à coups de talon la boîte de bois doré, mettant au jour deux grosses poignées de monnaie. Il y avait parmi les billons en surnombre, une vingtaine de deniers d’or. «  Les deniers de Dieu ! » s’était-il écrié. «  Je me merveille d’avoir séjourné une nuit près de ces gens que nous venons de voir. Quelque répugnants qu’ils soient, je vais prier pour eux ! » Après avoir remis tant bien que mal les têtes décapitées de Sainte Marie et de Jésus sur leurs cous, il avait prié avec une ferveur dont la sincérité ne pouvait être contestée. Pour conjurer le mal dont succombaient leurs proches et pour tenter de s’y soustraire, toutes les familles du village avaient fait une offrande à la Vierge. Il était juste qu’il leur consacrât ce requiem aeternam dona eis qu’un clerc n’eût pas dit mieux, – du moins l’affirmait-il.
    — Dès lors que c’est toi qui nous offres le gîte et le couvert, Lois, dit Barbeyrac, j’entrerai d’un cœur léger dans la meilleure des auberges. Je m’y rassasierai en mangeaille et sommeil. M’offrirais-tu, en sus, une belle ribaude que je me garderais de te la refuser.
    — Au lieu de colloquer sur toutes ces largesses, grommela Ogier dont l’inquiétude empirait, ne pensez-vous pas qu’il nous faut, une fois nos chambres retenues, nous enquérir d’un mire, et si possible du plus entalenté d’Abbeville ?
    Saveuse resta coi. Barbeyrac prit un air résigné : après un court accès d’enjouement, les réalités s’imposaient à lui avec la même force, la même perniciosité que devant la fosse commune.
    — Tu as raison, dit-il : mieux vaut dès maintenant nous protéger des pestilences qui sont dans l’air.
    Ogier s’abandonna un moment à un accès de confiance sans mesure : demain, ils repartiraient vers Gratot. En deux jours, ils seraient à Rouen. Alors, sous sa conduite, ils chevaucheraient aisément droit sur le Cotentin.
    « Dieu ! Dieu ! » soupira-t-il les yeux levés vers le ciel comprimé entre les toitures, « faites qu’ils soient vivants et en bonne santé ! »
    Barbeyrac tendit soudain l’index :
    — Regardez, amis, cette enseigne : Au chapon couronné… Qu’en dites-vous ? Approchons… Approchons… La maison semble bonne… Il y a sur le côté une porte charretière… Nos chevaux vont avoir l’abri et la pitance.
    — Nous aussi, dit Ogier en mettant pied à terre. Il me tarde de me laver, de me rère [35] et de m’étendre sur un lit.
    — Entrons sans plus tarder, dit Loïs de Saveuse, et faisons nôtre le cri [36] du sire de Beaulaincourt qui est : Buvons tous assis !
    La cour dans laquelle ils pénétrèrent était occupée en partie par une forge, un travail et un abreuvoir. Dans un angle, des poules picoraient sur un tas de fumier. Deux chats gris, l’un sur le montoir, l’autre à même le sol, offraient leur flanc au soleil.
    Saveuse s’avança jusqu’au seuil de l’écurie. Cinq chevaux y étaient à l’attache.
    — Y a-t-il de la place ? demanda Barbeyrac.
    — On peut en mettre encore une bonne vingtaine.
    La grange attenante était bien pourvue en paille et en fourrage. Ogier, les mains à plat sur ses reins douloureux, examina la façade

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