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L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Une grande tristesse étreignait les trois hommes. Ils n’avaient rien d’autre à accomplir que leur chevauchée ; rien d’autre à espérer que d’échapper à la male peste. Aucun fantôme trapu, en dents de scie, ne révélait un village. À senestre, des bossellements et des creux ; à dextre, la mer miroitante, à peine labourée par la marée montante.
    — Au moins, dit Loïs de Saveuse, s’il y a inégalité de force entre le royaume de France et celui d’Angleterre, nous voilà égaux devant cette calamité.
    — Qui sait ? dit Ogier. Pour toucher les Anglais, la peste doit traverser la mer… Kemper peut l’avoir emmenée jusqu’à Londres… Des guerriers retour de Flandre, de Bretagne ou de Normandie…
    Il avait achoppé sur le mot Normandie. Il se sentait comme au bord d’un abîme. D’hallucinantes évocations le prenaient : il arrivait au seuil d’un Gratot déserté. Dans la cour gisaient des serviteurs putréfiés, méconnaissables. Il cherchait Blandine parmi eux. Il apercevait un petit corps noirâtre, au pied de la Tour de la Fée ; il se précipitait et se trouvait dans l’incapacité d’en définir l’âge et le sexe.
    — Nous avions trop prévu ce que nous ferions, dit Barbeyrac. Il est vain, malséant et dangereux d’imaginer les événements à l’avance. Dieu… ou le diable met un malicieux plaisir à contrarier nos espérances.
    — Tu as raison, dit Ogier. La plupart de mes souhaits ont été exaucés, mais leur substance n’a jamais correspondu à mon attente.
    Ils avaient chevauché pendant une lieue quand un clocher apparut. Il était entouré de maisons à arcades dont la lune révélait les bouches vides. Aucune lueur ne témoignait d’une vie saine ou malade.
    — Là aussi ? demanda Barbeyrac.
    — Il faut croire, dit Saveuse.
    — Entrons dans cette église avec nos chevaux, puisqu’elle est abandonnée.
    — J’ai de quoi faire une flambée pour nous protéger du froid.
    — Bien, Lois… Dieu nous pardonnera cette audace.
     
    *
     
    Petite et barlongue, l’église était construite en grès jusqu’aux clés de voûte du porche et des portes aux vantaux mutilés par lesquelles on accédait soit à la sacristie, soit au cimetière circonvoisin. Le faîtage du bâtiment s’appuyait sur quatre paires de colonnes et sur un contrefort dans l’épaisseur duquel on avait creusé la vis conduisant au carillon. L’autel en bois doré avait été rompu ; les mêmes haches et marteaux s’étaient abattus sur le Christ grandeur nature ; il gisait, démembré, séparé de sa Croix : accointés par un même ressentiment, les bourgeois et les manants avaient soulagé leur fureur sur Celui qui n’avait pas su protéger leur famille – avant de trépasser eux-mêmes.
    — Des mahomets n’auraient pas fait mieux, dit Saveuse. La foi de ces chrétiens s’est changée en foirades !
    Tout était dévasté : les bancs, l’ambon, les stalles. Au fond du chœur, sous une vitre éclatée, blanchoyait une statue. C’était la Vierge tenant sur un genou son Fils. On les avait étêtés. À la lueur du feu allumé par Barbeyrac, et qui se nourrissait des restes du saccage, les plis des saintes robes semblaient remuer. On respirait désormais, au lieu des aromates sacrés, un remugle de poussière et de suie, de platras et d’eau croupie : en quatre ou cinq endroits la toiture béait.
    Dévoré de froid et d’incertitude, Ogier ne savait que faire et que penser. Dieu maintenant méprisait cette église à laquelle trois chevaux attachés au bénitier, au lutrin presque entier et à la grille du confessionnal ébauchaient l’intérieur d’une crèche. Le feu crépitait. Barbeyrac et Saveuse l’entretenaient avec un plaisir sans malice.
    — Mangeons, dit le Cambrésien. Il faut nous envigourer. C’est ainsi que nous nous opposerons le mieux à la peste… Quand on est fort, on résiste aux épidémies.
    Il cherchait à se rassurer. Sous la carde noire d’une barbe de deux jours, son visage était pâle, tiré, ses mâchoires tremblaient ; Ogier lisait sur cette tête robuste une crainte prête à se développer, que nulle adjuration à la confiance et à l’espoir n’atteindrait plus jamais.
    — C’est vrai, dit-il. Il nous faut manger, mais sans excès. Qui sait si demain nous trouverons de quoi nous avitailler.
    Il s’aperçut que Barbeyrac l’examinait fixement, avec tout le poids et la sagacité d’un homme qui pense : « Tu

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