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L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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nous racontes des sornes. Si nous devons périr demain, mieux vaut consommer toute la nourriture. » Il éprouva sous ce regard une sensation de culpabilité si forte qu’il prit sans difficulté un air et une attitude d’indifférence. Jetant dans la flambée un reste de chanceau [33] , il capitula :
    — Faites comme bon vous semble.
    Ils mangèrent – sans hâte, en silence – des tranches de bacon et du pain qui, frais la veille au soir, était devenu dur et friable. Ensuite, Barbeyrac, un brandon à la main, s’en alla visiter la sacristie. Il en revint avec un balai, des robes de cérémonie et des nappes d’autel propres et soigneusement pliées ; il balaya autour du feu et fit trois parts de ses trouvailles :
    — Voilà, dit-il, nos matelas. Il faudra entretenir ce foyer. Nous ne souffrirons pas du froid… Demain, nous irons voir si ce village est mort.
    — Il nous faut trouver de quoi nourrir nos chevaux, dit Ogier.
    Il marcha jusqu’au portail et l’entrouvrit. Rien. Des arbres aux membres tors, des ordures devant des maisons mortes. Il se sentit découragé devant ce vide, ce silence. Il était impuissant à se persuader que Gratot était hors d’atteinte du mal.
    — Gratot vit ! grommela-t-il. Gratot vit ! Il est impénétrable !
    Gratot n’était pas plus protégé que Pirou, Gavray, Regnéville ou Hambye, Bricquebec ou Saint-Sauveur !
     
    *
     
    Les tapotements d’une main sur son épaule le réveillèrent en sursaut. Il frémit de froid et de colère.
    — Ogier, viens voir !
    Il se leva, s’aperçut que Saveuse était prêt à partir, tout comme Barbeyrac qui se couvrait de son manteau. Les chevaux semblaient sellés depuis longtemps.
    — Bon sang !… J’ai tant dormi ?
    — Tu as remué toute la nuit, dit Barbeyrac. Le sommeil ne t’a pris qu’au petit matin… Hâte-toi !
    — Qu’avez-vous découvert ? Vous semblez effrayés.
    — Quand j’ai vu cela , dit Saveuse, en poussant la porte qui desservait le cimetière, j’ai prévenu Étienne… Il a vu… Il faut que tu voies. Nous guerpirons ensuite. Allons, viens… Suis-nous dans l’aître [34]  !
    Le charnier se trouvait entre quatre fayards. Une fosse carrée, de huit à dix pas, dont on ne pouvait imaginer la profondeur. Des chairs putréfiées adhéraient aux ossements et il y avait même, recroquevillée près du bord, une charogne dont les côtes décharnées emprisonnaient dans leur étroite cage un rat qui disparut après avoir sauté de dépouille en dépouille.
    — Nous avons bien fait d’allumer un feu cette nuit, dit Saveuse. Son odeur a repoussé cette puanteur maléfique… On a creusé ce trou voilà deux ou trois semaines. Les corbeaux, la rataille… et les vers ont trouvé de quoi faire bombance.
    Ogier n’osait trop regarder toutes ces choses indistinctes, répugnantes comme ces restes d’animaux qu’il avait découverts, parfois, en chassant. Il ne savait qu’une chose : il eût fallu jeter là-dessus quelques pelletées de terre. Or, combler cette fosse, c’était en respirer longtemps la puanteur, – suffisamment pour encourir la male mort.
    — Encore heureux que la saison nous avantage, dit Barbeyrac. En été, les mouches…
    Il n’acheva pas, lissant d’un doigt sa moustache. Saveuse regardait, dans un angle, un crâne à demi dépiauté où subsistaient des cheveux longs et blonds. Les orbites vides qui le dévisageaient, qui les dévisageaient avec une sorte d’insistance, semblaient gluer d’un reproche : celui de les voir arriver trop tard.
    — C’était une femme, dit Loïs de Saveuse… Jeune : voyez ses dents… Et ce qui brille sur ce lambel d’encolure, c’est un pentacol d’or.
    — Partons, dit Ogier. Partons vélocement !
    Il se refusait d’imaginer Blandine ainsi. Jamais elle ne serait pareille à cette chose !… Sitôt à Gratot, il la protégerait. La seule façon d’échapper à ce mal, c’était de se confiner chez soi ; d’allumer de grands feux pour brûler ou disperser les miasmes. Il ferait cela. Oh ! oui, il le ferait…
     
    *
     
    Le jeudi 29 novembre, au milieu de l’après-midi, Ogier et ses compagnons furent en vue d’Abbeville. Ils avaient de loin contourné Boulogne, Étaples, Montreuil sans chercher à savoir si la peste en avait exterminé les habitants avec autant de férocité que ceux du village où ils avaient passé leur première nuit.
    La vue de minces fumées au-dessus d’Abbeville, les charrois

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