Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
gagnerons du temps à rejoindre Abbeville, puis Rouen, Lisieux et Caen.
    — Je ne saurais m’y opposer, dit Saveuse. La Normandie m’est inconnue.
    Le village apparut. Les feux ? C’étaient trois bûchers. Le clair de lune révélait, issus des monceaux de cendres brasillantes, des membres rongés, charbonnés. L’enfer avait quitté les profondeurs terrestres.
    — Merdaille ! s’exclama Barbeyrac.
    — Au moins cinquante par tas, dit Saveuse.
    Ogier resta coi. Il était seul, tout à coup, misérablement seul devant une révélation qui semblait la conséquence des frayeurs éprouvées sur la George. Sa sérénité fléchissait, son courage s’effritait, sa confiance en une santé de fer vacillait irrémédiablement. Bunbury lui parut un refuge d’où jamais il n’eût dû partir.
    — Les maisons semblent mortes, elles aussi, dit-il. Allons-nous-en !… Outre que ces bûchers empunaisent, leur vision nous endeuille l’âme, et ce n’est point le moment.
    Ils se préparaient à poursuivre leur cheminement quand une porte grinça quelque part. Ils regardèrent en direction de l’église dont le clocher, sous la lune, avait l’aspect d’un vieil os rongé. Un flambeau rougeoya résolument au portail, tremblant dans une main gantée de noir. Un homme apparut, hésita puis s’avança. Ce n’était pas un clerc : il portait un haubergeon de mailles.
    — Passez votre chemin ! hurla-t-il. Je suis seul. Il y avait, avant-hier, nonante hommes d’armes. Les uns ont fui ; la morille a pris les autres… Tous les manants sont morts et les loudiers [31] aussi… Allez-vous-en vélocement !… Je vais moi-même trépasser : j’ai deux pommes noires sous les aisselles et près des coulles… Le pays à l’entour est sain !
    Ogier se retourna vers Barbeyrac :
    — Je crois, Étienne, qu’il nous faudra éviter les villages.
    Ils galopèrent pendant quelque deux cents toises. Leurs chevaux, d’eux-mêmes, prirent le pas pour franchir un talus.
    — Si c’est ainsi partout dans le royaume… commença Barbeyrac.
    Son dos se courba comme s’il ne résistait plus à une torpeur profonde. C’en était bien fini de sa joie du retour. Saveuse toussota :
    — Si le logis que nous découvrirons a recueilli des malades, nous pourrons être atteints et périr promptement.
    — Hélas ! fit Ogier.
    Il était consterné, incapable d’exprimer un seul argument susceptible de rassurer ses compères. Cette mort dans la punaisie de quatre apostèmes noirs et suppurants – deux aux aines, deux aux aisselles – était pire que celle qui, par guerriers interposés, sévissait lors des batailles. Hypocrite, corruptrice, le seul fait d’y penser lui barbouillait le cœur. Il avait toujours craint d’avoir une vieillesse laide, achevée par un trépas hideux. Confusément, mais avec force, il se sentait ce soir distant et protégé. Il continuerait d’exister non point parce qu’il était pur, solide, mais parce qu’il s’était toujours dépêtré d’un réseau d’événements lugubres. Ils lui avaient forgé une volonté, un tempérament. Nonobstant cette confiance, une nausée lui vint au souvenir des tourments de Kemper.
    — Il doit y avoir un moyen de se garder de la morille. Je connais un mire qui nous en préserverait.
    — Allons le voir ! s’écria Barbeyrac.
    — Trop loin. Il vit en Poitou. Je t’en ai parlé. Il se peut qu’il soit mort tellement il était âgé lorsque je l’ai quitté.
    — Sans doute ferions-nous bien, dit Saveuse, de chevaucher tout au long de la mer, loin des cités et des bourgs.
    — Il nous faudra manger, coucher. Nos roncins ne sont pas les chevaux d’Apollon : ils ne se nourrissent point de plantes marines et ne boivent pas d’eau salée !
    — Tu as raison, dit Barbeyrac. Il leur faut du fourrage et de l’herbe haute. J’ai décidé d’appeler notre sommier Carbonel [32] tant il ressemble à celui que mon père m’offrit jadis.
    — Soit, dit le Cambrésien. J’accepte pour lui ce baptême.
    Le chemin s’étrécit, creusé de fondrières pleines d’eau qui gargouillait plutôt qu’elle ne jaillissait sous les fers. Nul autre bruit à l’entour : aucun hululement d’effraie ou de chevêche ; aucun froissement d’herbe signifiant qu’un mulot, un rat, une belette fuyait. Aucun aboiement. Une nuit de silence et de glace mêlés, ornée d’une lune pâle et haute dans la vaste criblure des constellations. Pourquoi parler ?

Weitere Kostenlose Bücher