L'épervier de feu
et flagelleurs par manière d’alliance… On dit que le Pape désapprouve leur ardeur sacrée.
— Sont-ils venus en France ? demanda Ogier dont l’inquiétude persistait.
— Oui, messire… Ils ont contourné notre cité car notre mayeur [41] avait groupé des hommes d’armes à toutes les portes… Ah ! messeigneurs, si vous avez péché, défiez-vous de la morille !
Son conseil lâché, l’homme rejoignit son compère. Il se croyait pur, partant promis à la préservation.
— Ce manant est fou, dit Loïs de Saveuse.
— Sa folie le préserve peut-être, dit Ogier.
— J’ai hâte de voir un mire, avoua Barbeyrac.
Ils entrèrent dans l’hôtellerie et avant même d’avoir examiné les lieux, ils virent que les servantes inoccupées – deux grosses et une maigre – eussent pu être leurs mères. Saveuse exprima sa déception par un soupir bruyant et demanda trois chambres. Il en acquitta le prix d’avance ainsi que le montant des trois repas et des collations du matin. L’hôtelier, un homme brun, rude, tanné comme un coureur des mers, examina les pièces et les fit grelotter dans ses mains :
— Si vous souhaitez autre chose, messire, il vous suffit de me le demander.
Saveuse prit aussitôt un air passionné :
— Une femme… une belle femme dans mon lit, est-ce possible ?
— Le bordeau de la ville est à moins de cent toises, dans une venelle, à dextre en sortant du Chapon couronné.
L’hôtelier n’osait trop s’indigner ; le Cambrésien le rassura :
— C’était façon de s’ébaudir un tantinet, messire. Présentement, ce que mes compères et moi aimerions, c’est rencontrer quelqu’un qui raye [42] en médecine.
L’hôtelier parut inquiet ; Ogier le rassura :
— Nous sommes en bonne santé. Nous allons, cependant, devoir chevaucher longuement et il nous paraît nécessaire de nous précautionner contre la peste.
L’hôtelier, cette fois, approuva.
— On m’avait dit que les postils [43] allaient être gardés pour empêcher l’entrée des gens et marchandises en provenance des lieux contaminés.
— Peut-être, dit Saveuse, le sont-ils maintenant. Connaissez-vous un mire ?
— Le meilleur de la cité, messire, c’est Firmin de Maignelay. J’ai dit à votre compagnon où se trouvait le bordeau… Eh bien, messire Maignelay habite une maison sise à l’angle de la ruelle d’après. Son enseigne représente un mortier ailé ; son nom figure au-dessous.
— Nous l’irons consulter, dit Loïs de Saveuse. Qu’on nous montre nos chambres : nous y porterons nos fardeaux. Quand nous aurons soigné notre apparence, nous nous rendrons chez ce mire.
— J’ai, dans une de mes boves une petite étuve à l’usage de ceux qui séjournent céans…
— Eh bien, nous irons nous y nettoyer, messire. Mettez l’eau à chauffer.
Les trois compagnons s’inclinèrent. Ogier sortit dans la cour. Le vieux palefrenier portait sur une épaule le sac contenant son armure.
— J’ai laissé l’autre chose à l’arçon de la selle, dit-il gaiement. On dirait un esteuf [44] mais en pierre…
— Hé oui !
Il n’y avait rien d’autre à dire. Ogier se demanda si le crâne de son oncle reposerait un jour dans une châsse, à la chapelle de Rechignac. Quelques mois plus tôt, Barbeyrac avait douté qu’il pût accomplir ce bienfait [45] . « Les chemins sont peu sûrs… Nous devrons nous défendre… Si tu parviens à porter cette relique jusqu’à Pierregord [46] , je t’offrirai mon épée. » Il ne se sentait plus de taille à soutenir une gageure qu’il avait acceptée en riant. La vacuité de la cour, maintenant, lui donnait la sensation d’être ceint de forces hostiles.
— Jusqu’où irons-nous ? se demanda-t-il à mi-voix. L’un d’entre nous, moi peut-être, ne sera-t-il pas victime de ce mal épouvantable ?
Il se morigéna : il atteindrait Gratot sain et sauf. Blandine l’y attendait. Elle n’avait jamais désespéré de le revoir.
III
Firmin de Maignelay devait avoir soixante ans. Il était maigre, voûté ; sa chevelure et ses sourcils blanchoyaient ; un mouvement nerveux lui secouait parfois la tête comme si une invisible mouche venait de se poser sur sa joue blette et ridée.
Il allait et venait à pas lents dans une pièce austère, meublée d’une table grêle et d’un scriptional massif, d’un faudesteuil et d’une banquette sur laquelle il invita ses visiteurs à s’asseoir. Le jour
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