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L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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espèce d’animal satanique dont, de la tarentule au serpent, il ne pouvait définir ni l’aspect ni les dimensions terrifiantes.
    Saveuse poussa l’huis d’un coup de pied.
    Il y eut un peu partout les cris pointus des rats dérangés dans leur bombance et Rosamonde s’avança, levant haut son flambeau comme une menace à tout ce grouillement de petites bêtes obscures dont certaines passèrent entre ses jambes sans pour autant l’épouvanter.
    — Une chambre encore, dit-elle d’une voix ferme que les murs répercutèrent. Ce n’est pas là non plus que je viendrai dormir !
    « Bon sang ! » se dit Ogier, « elle est de la race de ce Franque-Vie : hardie, insensible sous un visage, un sourire et des yeux d’ange. »
    Elle remua très haut son poing crêté de flamme.
    — Encore des dormeurs, dit furtivement Barbeyrac en montrant le lit duquel un rat venait de sauter pour disparaître sous un coffre.
    Il n’osait plus avancer mais regardait avec une attention extrême ce couple visiblement enlacé sous les draps troués et souillés. Il ajouta : « Partons » et recula d’un pas.
    Un soupir – un aveu – s’exhala des lèvres de Saveuse :
    — Je n’ose approcher…
    Ogier n’en jugeait pas l’utilité. Il retrouvait dans cette chambre le même agencement que dans celle d’au-dessus. Sans doute était-ce celle des parents de la jeune morte. Voyant sa femme atteinte après le trépas de leur fille, l’homme, pour la rassurer, l’avait prise dans ses bras, consolée, caressée, baisée. La peste s’était communiquée à lui avec cette promptitude qui, dans l’horreur, la distinguait des autres contagions. Ils étaient morts en s’étreignant.
    Un temps de silencieuse méditation sépara les visiteurs. L’anxiété infusait désormais dans leur sang. Mieux encore que sur la George, Ogier prit conscience de l’épouvante qui le saisirait s’il découvrait tout à coup sur son corps la présence d’un abcès, d’un ganglion, d’un anthrax. Rosamonde, volontairement ou non, le toucha de son coude : elle échangeait son flambeau contre l’épée de Saveuse.
    — À quoi bon… dit-il tandis qu’elle soulevait les draps.
    Les corps gisaient sur le flanc, face à face ; les chairs en étaient durcies, blêmes, tavelées de noir. Les rats avaient rongé le sexe de l’homme et pénétré largement dans son flanc ; on voyait, blanchâtres, quelques-uns des os qui avaient encagé le cœur et les poumons. La femme n’avait plus de seins ; une de ses jambes, de la cuisse au genou, réduite à l’état de vermine, grouillait d’on ne savait quoi.
    — La dernière étreinte, commenta Rosamonde. Nous trouvons cela laid, effrayant, mais c’est peut-être beau de dévier [66] ainsi… quand on s’aime, évidemment.
    Ogier ne reconnaissait plus la dolente personne qui, au Chapon couronné, avait forcé sa compassion. Elle appartenait à une autre espèce que celle de toutes les femmes qu’il avait approchées, – y compris Tancrède, Éthelinde et Odile de Winslow. Tout autant que la découverte des horribletés de la peste, elle le plongeait dans un univers ténébreux, incontournable et mortifère.
    — Descendons, dit-il. Cette odeur de poutie [67] est insupportable.
    De nouveau, Saveuse s’éloigna le dernier. Quand il les eût rejoints dans la grand-salle, il révéla :
    — J’ai ouvert les bahuts et les chetrons [68] des coffres. Rober des écus à des morts pour assurer sa vie et celle de ses compagnons n’est ni un larcin ni un péché mais une nécessité.
    Ogier regarda les neuf chevaliers dans leurs niches. Naïvement sans doute, il craignit leur courroux. Il décida pourtant :
    — Il faut dormir céans. Nous ignorons ce qu’il y a dans les autres logis à l’entour du donjon, mais ce que nous venons de voir me décourage de continuer la visite.
    Barbeyrac et Saveuse acquiescèrent. Eux aussi se sentaient subjugués par neuf regards de pierre et peut-être neuf volontés. Si la clarté avait été plus diffuse et plus forte, ils n’eussent point subi cette espèce d’envoûtement lesté d’une crainte sourde, étrangère aux visions dont leur mémoire tarderait à se purifier. Mais tout était pénombre, tressautements de flammes, inertie traversée de vents frais et coulis dont on eût pu penser qu’ils étaient l’ultime souffle, le suprême gémissement de tous ces trépassés privés du sacrement extrême. Parfois des cris de rats

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