L'épervier de feu
dégager aussi vivement qu’il le souhaitait.
— Traître !
Il entendit simultanément le gémissement de Rosamonde, vigoureusement repoussée, le hurlement de Saveuse, endolori dans ses espérances et se méprenant sur la nature d’un enlacement dénué de l’amour qu’il y croyait trouver.
— Traître !… Tu savais bien qu’elle m’appartenait !
Rosamonde marcha droit au Cambrésien :
— Qui vous a fait penser que je serais à vous ?
— Vous-même m’avez dit : « Apprivoisez mon cœur. »
Ogier ne bougeait pas. Il éprouvait les affres d’une irrésistible noyade dans le mystère, la fange et l’horreur du plus cruel automne qu’il eût vécu. La nécessité de sauver son existence l’avait poussé jusqu’à ce châtelet. Avant qu’il y fût entré, il avait redouté d’y trouver la peste et ses charognes. Il avait désormais l’intuition de sa mort : une mort rouge et non noire, par l’acier tranchant que Saveuse empoignait.
— Holà ! s’écria-t-il, perds-tu la raison ?
Il avait devant lui un adversaire hargneux, l’esprit vidé de tout entendement. Aux lueurs de la torche brandie par Barbeyrac, il reconnaissait l’homme impitoyable qui, sur la George , avait précipité Kemper dans la mer avant même qu’il eût expiré. Quelle que fût sa répugnance à pacifier ce hutin, il devait essayer d’en amoindrir la rage.
— Remets, Loïs, cette épée dans son feurre [71] .
Il suffisait qu’il réduisît en charpie l’équivoque d’un embrassement auquel, avec ou sans témoin, il eût mis promptement un terme.
— Allons ! Rentre cette lame. Tu ne crois pas, j’imagine, que je vais t’affronter pour une femme qui ne m’est rien !… Nous ne sommes ni des routiers partageant un butin ni des cerfs en rut !
— J’allais gagner son cœur !
Il y eut un rire : celui de Barbeyrac. Rosamonde y joignit le sien.
— Ils se moquent de toi. Veux-tu donc qu’ils te plaignent ?
Ogier s’était exprimé d’un souffle, d’une voix plate, débonnaire. Cependant, plus il dévisageait Saveuse, plus l’expression de haine qu’il découvrait sur ses traits le décevait et l’inquiétait.
— Tu m’as trahi !
Humilié par tous, Saveuse n’aurait cure des plus habiles formules lénitives. Un courant d’air désagréable coucha les flammes des flambeaux : on eût dit une haleine furibonde.
— Tu n’as plus ta raison. Laisse passer la nuit. Demain…
— Tu m’as trahi !
— Il n’y a pas trahison ! intervint Barbeyrac en repoussant une Rosamonde blafarde. Ni elle ni Ogier ne t’avaient fait des promesses !
Il souhaitait, lui aussi, apaiser la fureur d’un homme qu’il ne reconnaissait plus et ménager les nerfs d’un compère excédé, dont il savait l’habileté aux armes. Il ajouta, tout en accompagnant cette assertion d’un geste las et résigné :
— C’est ce lieu qui nous est funeste… Ce sont ces hommes-là qui vous troublent les sens !
Il désignait d’un ample mouvement, les chevaliers fabuleux, attentifs, comme rencognés dans leur niche, et dont les lueurs dansantes animaient les tabards avec une vraisemblance prodigieuse.
— Demain, dit Ogier, nous guerpirons à l’aube. Nous livrerons bataille à Franque-Vie.
Sous l’acuité de la colère engendrée par sa discorde avec Saveuse tout aussi bien que par l’impression d’intérêt et d’hostilité des neuf témoins immenses, il recula d’une enjambée : ces murailles et ces statues sécrétaient invinciblement quelque chose d’abominable. Il devait s’éloigner, s’esseuler n’importe où ; laisser à ses compagnons et surtout au Cambrésien le temps et l’occasion de se ressaisir. Les flambeaux grésillaient ; Saveuse happa celui de Rosamonde et le jeta en direction du « traître » avec un grondement de rage inassouvie.
— Tu deviens vraiment fou !… Nous n’allons pas…
Ogier sentit la lame du mécontent fouetter l’air au-dessus de sa tête. Rosamonde cria. Barbeyrac voulut s’interposer mais l’estoc de Saveuse piqua son ventre :
— Ne t’en mêle plus, Étienne !
— Argouges a raison : la folie te hante !
Il y eut un silence bref. Quelque chose d’acide et de lugubre s’y mêla. Ogier écarta ses bras pour signifier à l’imprudent qu’il ne souhaitait pas dégainer Confiance.
— Remets ton épée dans son feurre… Apaise-toi, Lois… Tu es vif, emporté. La raison va te revenir… et
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