Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
dormir ?
    Loïs s’ébaudissait et bombait la poitrine. Il avait sa main posée – clouée pour ainsi dire – sur l’épaule de Rosamonde. Elle ne se défendait pas mais jugeait de l’effet que produisait cette sujétion inattendue sur deux hommes dont l’indifférence ou la défaveur courtoise à son égard constituait un mystère qu’elle se refusait à sonder.
    — Holà ! reprit le Cambrésien en examinant les murs. Par ma foi, je me croirais presque dans l’abside de Saint-Pierre de Douai, sauf que les saints y sont apprêtés pour la guerre !
    S’il subissait, lui aussi, l’espèce d’envoûtement sécrété par ces hommes, leur courroux et leur orgueil fabuleux, indéfectible, Rosamonde n’éprouvait rien. Elle opposait à chacun des visages qu’elle détaillait avec un déplaisir évident, une froideur nette, dédaigneuse, – outrancière : elle les défiait et cette hautaineté répondant à la leur conférait à son visage et à son attitude un aspect redoutable, presque minéral, en accord avec les pierres, – qu’elles eussent ou non forme humaine.
    — Montons-voir, dit-elle en prenant le flambeau de Barbeyrac.
    Tant de hardiesse décontenança plus encore Saveuse que ses compères. Ils la suivirent, nullement subjugués par son audace, mais résolus à ne se point séparer les uns des autres. Saveuse avait emboîté le pas à la jeune femme ; ensuite venait Barbeyrac et enfin Ogier que la lumière de la torche éclairait petitement. Il avait hésité à monter ; il atteignit avec plaisir le dernier palier mais n’osa emprunter l’échelle d’échauguette pour accéder au faîte crénelé où le vent s’écartelait en volutes longues et plaintives.
    — Maudit temps ! dit Barbeyrac.
    Rosamonde poussa une porte.
    — Voilà, dit-elle tandis qu’un sourire de supériorité décollait ses lèvres pâles.
    Ils découvrirent une chambre : un lit, un bahut, deux chaises.
    — On s’approche ? proposa Saveuse.
    Dans ce lieu déserté où l’ombre et la lumière entamaient un tremblotant conflit, sa voix prenait une résonance particulière. Plus douce, plus faible. On eût dit qu’un respect s’y était infiltré. Ogier cessa de l’observer pour regarder à l’entour : il sentait rôdailler des choses innommables et percevait des bruits feutrés. Le lit, couvert d’une courtepointe bise, prit pour tous une importance exagérée sitôt que Saveuse se fut exclamé :
    — Il n’est pas vide. On remue là-dessous.
    Du bout de son épée, il releva la couverture.
    Il y eut un cri de stupeur et d’horreur mêlées, chez les hommes, à la vue d’une jeune femme allongée, morte depuis trois ou quatre semaines : nue, noire, et dont cinq ou six rats qui venaient de s’enfuir avaient festiné.
    De longs cheveux dorés moussaient autour de la tête effrayante, sorte de melon coti d’où les dents plutôt que les lèvres rongées exprimaient une grimace colérique. Les yeux n’existaient plus, ni le nez, ni les oreilles. Les orbites noires, suppurantes, regardaient les poutres du plafond. Quant au reste du corps, c’était une sorte d’éponge immense, visqueuse, d’où sourdaient des humeurs et des sérosités.
    — Elle empunaise, dit Barbeyrac.
    — La peste, dit Saveuse.
    — Elle n’avait pas vingt ans, sans doute, dit Ogier.
    — La morille ! Encore elle ! enragea Barbeyrac.
    C’était la conclusion de tous, une évidence, un décret d’une simplicité insigne. Ogier se détourna. La vue de cette martyre paraissait avoir fourni à Rosamonde, muette, un surcroît de courage et de joie d’exister.
    Barbeyrac recula le premier. Ogier le suivit, puis Rosamonde. Saveuse ne les rejoignit que lorsqu’ils furent sur le seuil de la chambre d’en dessous, indécis et hagards, tremblants et suants comme des évadés de l’enfer.
    — Qui ose ? demanda Barbeyrac en touchant l’huis de chêne alourdi de ferrures.
    Quoi qu’il eût accompagné sa question d’une espèce de rire, il paraissait le plus atteint, le plus craintif. Ogier eut envie de redescendre. Sa chair n’était que boue de la tête aux chevilles ; son cerveau lui pesait. Des fibrilles de froid l’enfermaient dans leur trame. La fatigue, l’incertitude, le sommeil peut-être aussi, troublaient sa vue. Il sentait l’étreinte des pierres, leur moiteur glacée, leurs suints. Ses sens exacerbés par la vision d’en-haut lui enjoignaient de partir : la peste lui apparaissait comme une

Weitere Kostenlose Bücher