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L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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au-dessus de leurs têtes, des statues de guerriers plus grands que nature peuplaient des niches avec la sévère ordonnance d’un rang de saints au portail d’une cathédrale. Ils étaient neuf, le heaume en pot reposant contre leur cheville dextre. Tous portaient le camail, le haubert ou la broigne. Ils tenaient leur épée massive par la prise, l’estoc planté entre leurs pieds. Leur hanche senestre servait d’appui à leur écu. Ils étaient peints ; les teintes de leurs cottes d’armes variaient de l’ocre brun au vermillon. Tous avaient un air de famille. La rotondité du lieu orientait leurs regards opaques vers les étrangers ahuris d’un pareil accueil. Ces yeux exorbités, entre d’imperceptibles paupières, exprimaient on ne savait quoi. L’orgueil certainement, mais encore ?
    — Je me sens tout petit, résuma Barbeyrac. Pas toi ?
    Ogier acquiesça. Il était ébaubi, inquiet, lui aussi, de voir ces hommes figés dans la même position solennelle et rigide des vieux gisants. Les flammes des flambeaux qui ne cessaient d’assombrir et d’envigourer les traits de leurs faces blêmes, leur donnaient un éclat, une vivacité, une malignité peu communes : on les eût dit ensorcelés. Il était gêné de sentir converger sur son compagnon et sur lui toutes ces curiosités froides, hautaines et inextricables tandis que palpitaient sous les mailles et les tabards aux cannelures mouvantes, des poitrines de pierre envahies d’un inconcevable courroux.
    — Eh bien, je t’en fais l’aveu, Argouges : dormir céans sera pour moi plus malaisé que je ne le croyais. Je me sens oppressé. Mon sang se rafraîchit !
    Barbeyrac frissonna. Son visage las s’était animé difficilement. Sa parole hésitante, singulièrement monotone, aggrava le mésaise d’Ogier accoutumé à la loquèle, sinon à la faconde de son compère. Peu à peu, cependant, la voix de Barbeyrac redevint vive, sonore ; ses yeux furent de nouveau pleins de lumière et de détermination tandis que les mots redevenaient abondants sur ses lèvres :
    — Si nous ne l’avions ni connue ni délivrée, nous n’en serions pas là ! Nous aurions cheminé plus longuement. Notre amitié serait toujours aussi solide, alors que je la sens, ce soir, se fissurer.
    Pour conjurer le mauvais sort, il n’osait prononcer le nom de Rosamonde.
    — Je ne suis point cause de quoi que ce soit. Loin de moi l’envie de la forniquer !
    Le rire silencieux de Barbeyrac trahit une appréhension affreuse :
    — Je n’y tiens pas plus que toi, mais Loïs peut le penser… Et puis, faire l’amour dans ce château de haine…
    Ils examinèrent le même visage multiplié par neuf des témoins de leurs propos : têtes de guerriers avant une bataille, lorsque les pennons et bannières ne sont point encore déployés ; rire mort, insolent ; yeux blancs et bombés dont l’aversion s’était semblait-il diluée dans une moquerie sans fin. Barbeyrac rompit son immobilité.
    — Ce tinel est vide. Approche encore, Ogier. Regarde cette cheminée. Pas le moindre grain de cendre : elle est balayée comme si quelqu’un hantait cette demeure.
    — Ni table ni faudesteuil ni dressoir…
    — Ni rien !
    —  Pas un fétu, un brin d’herbe, une crotte de rat… Holà ! y a-t-il quelqu’un céans ?
    Barbeyrac avait hurlé si fort qu’Ogier en tressaillit. Il sentit ses genoux fléchir, ses reins se glacer : le froid posait sur son corps une coquille pesante, douloureuse. Il voulut réagir contre cette influence pernicieuse dont il semblait supporter seul la mauvaiseté. Barbeyrac eut un sourire de compassion épicé d’un grain de moquerie :
    — Tu me parais plus las que moi… Viens… Montons ces marches : elles doivent nous conduire au sommet de la tour.
    Il désignait un escalier dont il venait de découvrir l’amorce près d’un des jambages de la cheminée.
    Soudain, il hésita. Ogier le sentit chargé de la même indécision, sinon du même maléfice qui l’avait pénétré. Rechignant à gravir un degré de crainte qu’un vertige ne le prît avant même qu’il eût atteint le sommet, il fit demi-tour :
    — Je sens une présence qui s’ajoute à celle de ces barons de pierre.
    Ils entendirent des pas. C’étaient ceux de Loïs et de Rosamonde.
    Était-ce la présence perçue par Barbeyrac ? Y en avait-il une autre ? De quelle espèce ? Tangible ? Intangible ?
    — Eh bien, que faites-vous ? Savez-vous où nous allons

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