L'épopée d'amour
fureur.
Et tout à coup, secouant frénétiquement l’appui de la fenêtre, il eut un long hurlement de loup au fond des bois. Et la parole affreuse, en cris rauques, en râles brefs, fit explosion sur ses lèvres exsangues :
– Tuez ! Tuez ! Tuez !…
Alors, il bondit en arrière, saisit l’une des arquebuses. Il y en avait une quinzaine. Elles étaient toutes chargées ?… qui les avait chargées ?…
Et il tira.
Puis il saisit une autre arquebuse.
Et il tira.
Il tirait au hasard. Homme, femme ou enfant. Tout ce qu’il voyait passer, il tirait.
Quand il eut déchargé toutes les arquebuses, il se pencha, fou furieux, effroyable à voir, la bouche pleine de mousse, les yeux hors de la tête, les cheveux hérissés, et longuement il se mit à hurler :
– Tuez ! Tuez ! Tuez !…
Soudain, il se renversa en arrière, tomba, se tordit sur le plancher, la poitrine gonflée, les ongles incrustés au tapis.
Et alors, le roi de Navarre et Condé purent voir un spectacle hideux et tragique…
Là, sur ce tapis, un homme secoué de sanglots frénétiques se roulait, se cognait la tête, se labourait la poitrine à coups de griffe, et de cette loque tordue, de ces sanglots effrayants, jaillissait une sorte de plainte rauque, un cri bref, toujours le même, un cri d’agonie et de frénésie, mêlé de rires plus effrayants que les sanglots :
– Tuez !… Tuez !… Tuez !…
Et cette loque, c’était le roi de France !
Condé leva ses deux poings crispés vers le ciel comme pour une malédiction suprême. Et brusquement il sortit du cabinet. Il marcha droit devant lui, au hasard, sans essayer d’éviter les endroits où éclataient les coups d’arquebuse. Peut-être cherchait-il la mort. Par une chance du hasard, il se trouva dans un escalier désert qu’il monta et enfila un couloir où régnait un silence relatif.
Le jeune prince pleurait en marchant.
Vers le milieu du couloir, il comprit que l’angoisse et l’horreur étaient trop violentes et qu’il allait s’évanouir.
Il ouvrit la première fenêtre qui se présenta pour respirer un peu d’air.
La fenêtre donnait sur la grande cour d’honneur.
Sans doute ce que vit alors Condé lui apparut plus horrible encore, car il voulut reculer, fuir l’affreuse vision ; mais ses jambes lui refusaient tout service ; il demeura comme pétrifié, hypnotisé, les yeux fixés sur ce qu’il voyait.
C’était épouvantable et cela dépassait les limites des conceptions de l’horreur : ce n’était plus une réalité sinistre, mais une sorte de cauchemar réel et vivant.
Là, dans cette cour, il y avait près de deux cents cadavres, tombés au hasard, les uns en tas, les autres isolés, dans toutes les positions macabres que peut prendre la mort. La plupart de ces cadavres étaient à demi-nus, les malheureux gentilshommes ayant été surpris en plein sommeil, et n’ayant pas eu le temps de se vêtir pour fuir…
Or, de cette cour sinistre, de ce charnier abominable, montaient des éclats de rire frais et sonores, des rires féminins, des voix féminines. Des femmes, des jeunes filles allaient et venaient, vivement, d’un cadavre à l’autre. Dans la claire et radieuse matinée, sous les rayons dorés du soleil levant, avec leurs toilettes légères, toilettes d’été, toilettes de printemps, couleurs tendres, mauves et roses du satin, froufrous de la soie, on eût dit un essaim de jeunes vierges jouant dans un grand jardin…
Et elles riaient. Quand l’une poussait une exclamation : « Oh ! voyez donc comme il est drôle, celui-ci ! » elles accouraient toutes.
L’une d’elles, tout à coup, poussa un joli cri :
– Ah ! une idée qui me vient !
Voici qu’elle était l’idée : du bout effilé de sa canne enrubannée, elle creva les yeux d’un cadavre !…
Alors, toutes, folles et gaies, rieuses, parfumées, jolies à ravir, hideuses, oh ! hideuses à faire reculer d’horreur les prêtres même ! Elles coururent d’un cadavre à l’autre ! Pan ! Juste dans cet œil ! Pan ! Je l’ai manqué ! Recommençons !
Derrière le passage des effroyables femelles, les cadavres demeuraient sans regard avec, à la place des yeux, deux trous noirs et sanguinolents !…
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Chapitre 35 ENTREE DE CATHO DANS LA GLOIRE
V ers l’heure où Catherine de Médicis, au balcon du Louvre, attendait le premier coup de tocsin, Catho, comme on a vu, cheminait dans la nuit que sillonnaient de lueurs falotes les lanternes des
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