L'épopée des Gaulois
que mon oncle, le roi Épomaros.
— Ne dis pas de mal de ton oncle, Garganos, il est habile et se montre un très bon roi. Son seul défaut est de boire plus que de raison. Mais c’est un homme respectable.
Le druide se leva et alla remplir deux coupes dans une cuve. Puis il revint vers le foyer, se rassit et tendit l’une des coupes au guerrier. Tous deux en burent le contenu avec une évidente satisfaction.
— Tu es encore bien jeune, Garganos, reprit alors Vissurix, il y a beaucoup de choses que tu ignores. Nous vivons dans un endroit fertile et agréable, près de la mer. Mais cette mer, si elle nous protège d’éventuels ennemis, peut aussi être redoutable. D’ailleurs, elle demeure pour nous un grand mystère, car nous ne savons pas ce qu’il y a au-delà. Nos traditions affirment que c’est de l’autre côté de ces flots tumultueux que se trouvent les îles bienheureuses où se réincarnent les âmes des morts. On prétend même que certains de nos ancêtres y sont allés et qu’ils en sont revenus, décrivant ces pays comme des lieux de paix et de bonheur. Mais pour parvenir jusque-là, on doit affronter de terribles dangers, d’abord des tempêtes, ensuite des êtres surnaturels qui vivent dans des endroits incertains où la mer se confond avec la terre.
« C’est ainsi qu’on prétend que bien loin, là où le soleil disparaît, la mer est immobile et résiste aux efforts des rameurs. Les vents ne peuvent même pas soulever ses flots tant ils sont lourds et compacts. On explique alors que c’est parce qu’on y voit peu de terres et peu de montagnes où pourraient naître et se développer des tempêtes, ou encore parce que cette mer est sans fond et sans limites et qu’elle est donc plus lente à s’ébranler 15 . D’autres voyageurs ont rapporté qu’au-delà de l’horizon s’étend une autre mer, dormante et immobile, dont l’univers est paraît-il entouré et comme enfermé de toutes parts, et que les dernières clartés du soleil couchant s’y prolongent jusqu’à son lever avec un éclat qui fait pâlir les astres. Les mêmes voyageurs ajoutent qu’on entend de grands bruits provenant de cette mer : ce seraient des divinités sortant des ondes, la tête auréolée de lumière 16 . Réalité ou mensonge ? Un grand navigateur qui appartenait au peuple des Hellènes a affirmé que, dans ces lieux où le soleil ne se couche jamais, il n’y avait ni terre, ni mer, ni air aux alentours, mais un mélange de tous les éléments au-dessus d’une sorte de poumon marin qui ferait le lien entre toutes ces parties, de telle sorte qu’il n’est possible ni de naviguer, ni de marcher, dans ces parages du bout du monde 17 .
« Mais nos historiens en racontent encore bien davantage sur ces endroits. Ils nous disent que c’est au-delà de l’Aquilon que réside une nation heureuse que les Hellènes appellent les Hyperboréens. Chez ces peuples, les hommes peuvent atteindre un âge très avancé, et on rapporte à leur sujet des merveilles fabuleuses. On prétend que la charnière du monde se trouve là et que c’est l’extrême limite de la révolution des astres dans le ciel. Dans l’année, il n’y a qu’un lever de soleil au solstice d’été et qu’un seul coucher au solstice d’hiver. La contrée, nous précise-t-on, est bien exposée, d’une température heureuse, et exempte de tout souffle nuisible. Les populations y ont pour demeure les forêts et les bois sacrés. Le culte des dieux y est célébré tant par les particuliers que par l’ensemble du peuple. La discorde y est ignorée, ainsi que toute maladie. On n’y meurt que par satiété de la vie : après un repas, après des jouissances savourées aux derniers jours de la vieillesse, on saute dans la mer du haut d’un certain rocher.
« Il paraît que c’est leur mode de sépulture le plus recherché. On prétend aussi qu’il était dans leurs usages de venir jusqu’au pays des Hellènes pour y apporter des fruits dans le sanctuaire de leur dieu Apollon qu’ils honoraient grandement. Ces offrandes étaient confiées à de jeunes vierges que les Hellènes respectaient et accueillaient avec bienveillance. Mais, cet usage a disparu depuis que certains Hellènes ont eu l’audace de faire subir des violences aux jeunes messagères. À présent, on ne sait plus rien de ces étranges Hyperboréens 18 .
« Mais on en a conservé le souvenir. Il semble que leur grand dieu ait été celui que les
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