L'épopée des Gaulois

elles. Tantôt, c’est sous toutes sortes de formes, de valeurs et d’états différents, comme c’est le cas actuellement, qu’elle constitue alors ce que nous appelons le monde. Lorsque les métamorphoses de la divinité aboutissent à l’ordonnancement de ce monde, les sages désignent alors à mots couverts le changement qu’elle subit, et ils parlent d’arrachement , ou parfois de démembrement . C’est pourquoi nos récits venus de la nuit des temps décrivent certaines morts ou disparitions divines, puis des renaissances ou des régénérations. Ce sont autant d’allusions obscures aux métamorphoses qui s’opèrent dans l’évolution du monde 27 . Et il en est de même pour cette histoire des Cimmériens vivant dans les ténèbres.
    « En effet, la tradition que nous, les druides, nous transmettons aux jeunes générations, c’est que toutes nos tribus sont issues d’une divinité qu’on appelle tantôt Teutatès, tantôt Dagda, tantôt Dispater, et dont les domaines sont situés dans l’obscurité de la nuit. Nous sortons tous de l’ombre et nous allons vers la lumière. C’est en raison de cette croyance que nous mesurons la durée, non pas d’après le nombre de jours, mais d’après celui des nuits. Les anniversaires de naissance, ceux des grands événements du passé, les débuts de mois et d’années sont comptés en faisant commencer la journée avec la tombée de la nuit. C’est ce qui nous sépare des autres peuples et c’est ce que nous voulons dire en racontant cette fable 28 .
    — Je comprends, répliqua le guerrier. Mais en est-il ainsi du puits qu’une jeune vierge doit constamment surveiller ? Est-ce une fable qui demande à être expliquée, ou est-ce vraiment une chose réelle qui constitue un danger pour nous ?
    — Il s’agit d’une chose bien réelle, répondit le druide. Lorsque nos ancêtres se sont établis dans cette grande plaine, ils ont découvert ce puits tel qu’il est aujourd’hui avec la grande dalle de pierre qui le recouvre. Et ils ont rencontré un ermite, un très vieil homme, qui leur a raconté l’étrange particularité de ce puits. Selon lui, la fin du monde arriverait une nuit où la mer surgirait du puits et inonderait toute la plaine. Voilà pourquoi nous avons confié à une jeune fille vierge, pure de toute souillure, la mission de vérifier chaque soir la hauteur de l’eau dans le puits et de s’assurer que la dalle qui le recouvre est bien fermée. Si elle constatait que le puits est sur le point de déborder, elle donnerait l’alerte et nous nous hâterions de fuir.
    « Mais si ce puits existe bel et bien et s’il représente pour nous un danger certain, il a donné lieu à bien des suppositions qui se sont révélées procéder de l’imagination la plus folle. Ainsi, on a raconté que, dans le fond du puits, un horrible dragon faisait bouillonner les eaux et, dans ses moments de colère, tentait de s’échapper en projetant les vagues contre la dalle de pierre afin de briser celle-ci. Il vaut mieux sourire de ces stupidités, mais beaucoup de gens y ont cru et y croient encore actuellement.
    « On a également raconté que ce puits débouchait sur un souterrain qui s’engageait sous la mer et qui aboutissait en des îles lointaines peuplées de femmes de grande beauté qui régnaient sur des peuples paisibles vivant une vie de plaisirs dans l’indolence et l’insouciance les plus extrêmes. Cette fable est en quelque sorte l’illustration d’une de nos croyances les plus fermes, celle qui nous assure que la mort n’est que le milieu d’une longue vie et que nous renaîtrons dans une île merveilleuse à l’ouest du monde.
    « Mais une autre fable a été longtemps colportée de génération en génération : on a prétendu qu’au fond du puits vivait une fille qui attirait vers elle tous les jeunes gens, d’abord pour faire la fête avec eux, puis pour s’unir à eux et enfin les dévorer. On prétendait qu’en posant son oreille contre la dalle du puits, on entendrait des musiques étranges, des chants surprenants, des rires et des gémissements qui se changeaient en hurlements de terreur. Ce sont évidemment les bruits que font les vagues au fond du puits lorsque la mer remonte qui sont la cause de ces stupides croyances. Et c’est précisément pour mettre fin à une superstition qui le heurtait profondément que ton vénérable père a disparu.
    — On ne m’a jamais dit la vérité au sujet de mon