L'épopée des Gaulois
Hellènes appellent Apollon et que nous, nous nommons Bélénos. D’après ce qui est rapporté dans nos récits, ce dieu de lumière passait pour visiter leur pays tous les dix-neuf ans. Mais, durant les deux saisons d’une année, les Hyperboréens, tous joueurs de cithare, célébraient sans cesse les louanges de leur dieu dans un immense sanctuaire entouré de grands blocs de pierre grise, en accompagnant leurs hymnes de leurs instruments 19 . En fait ces peuples passaient leur vie dans les forêts et les bois sacrés, ils n’avaient aucun besoin de cultiver la terre, celle-ci étant fertile par nature et produisant des fruits toute l’année. Mais c’étaient, nous dit-on, des gens respectueux de l’ordre et de la justice qui coulaient des jours plus longs et plus heureux que toutes les autres nations du monde. Toujours en paix, toujours au milieu des plaisirs les plus variés, ils n’avaient jamais connu la guerre, ni la maladie, ni les faiblesses d’un âge avancé 20 . Tu comprendras, Garganos, que si l’on raconte tant de merveilles sur ces pays lointains, c’est parce qu’ils demeurent inconnus de nous et qu’ils excitent notre imagination. D’ailleurs, c’est une mer inexplorée, dangereuse et redoutable qui nous sépare d’eux, ce qui ajoute encore à leur mystère.
Vissurix cessa de parler et se leva pour aller remplir deux autres coupes de bière. Au-dehors, le vent redoublait de violence.
— Mais pourquoi nos ancêtres ne sont-ils pas allés à la recherche de ces peuples ? demanda le grand guerrier. Ils auraient su ainsi quelle était la vérité…
— Tu oublies que nous ne sommes pas des peuples de la mer. Nos ancêtres étaient attachés à la terre : ils la cultivaient et élevaient des troupeaux dans des prairies abondantes en herbe. Nous ignorons tout de la mer.
— Mais nous sommes pourtant sur les rivages de cette mer que tu sembles redouter comme si elle était peuplée de démons, dit Garganos.
— C’est que nous avons dû quitter notre pays d’origine et nous disperser un peu partout afin de trouver une région qui pourrait nous accueillir. Certains sont partis vers l’ouest, d’autres vers le nord, d’autres dans la direction où se couche le soleil au solstice d’été. Cela a été le cas pour notre tribu. Et nos ancêtres se sont heurtés à la mer. Ne pouvant aller plus loin, ils se sont installés ici.
— Alors, dis-moi, ô druide, quel est notre pays d’origine ?
— C’est une longue histoire, répondit le druide. Je vais cependant essayer de t’en donner l’essentiel. Nos traditions sont très confuses à ce sujet, je dois le reconnaître et tout ce qu’on raconte n’est pas vrai, loin s’en faut, et à côté de faits d’une certitude absolue, on peut déceler de nombreux mensonges 21 . Il paraîtrait donc que nos ancêtres portaient le nom de Cimmériens , et c’est un nom que d’autres peuples qui n’étaient pas de notre origine ont ensuite usurpé, peuples que les Hellènes ont rangés sous l’appellation de Cimbres . En fait, je crois que nos bardes et nos historiens ont confondu ces peuples. La seule certitude est que nos lointains ancêtres venaient des pays où le soleil se lève. Les Hellènes nous traitaient de « barbares », ce qui était une façon comme une autre de nous considérer comme des étrangers, des gens qui venaient d’ailleurs et qui ne pouvaient s’intégrer à leur mode de vie.
« Comme ces barbares habitaient des pays très éloignés, on se perdait en suppositions quand il s’agissait de découvrir à quelle nation originelle ils appartenaient. À ce sujet, nous n’avons que le témoignage de nos bardes. Tout ce que nous savons, c’est que nos ancêtres, pour une raison ou pour une autre, ont quitté leurs terres pour s’en aller vers les pays du soleil couchant. On dit en effet que les premiers habitants du pays où sont aujourd’hui les Scythes étaient des nomades qui poussaient leurs expéditions assez loin de leurs bases dans l’espoir de découvrir d’immenses étendues herbeuses nécessaires à la nourriture de leurs troupeaux. Ils auraient ainsi atteint, vers le sud, ce que certains appellent le marais Méotide, cette péninsule que les Hellènes nomment à présent la Tauride, ou encore la Crimée, sur les rivages d’une mer où les eaux ne sont pas soumises au phénomène de la marée. Mais nos ancêtres, quels qu’ils fussent, ont laissé un étrange souvenir chez les
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