L'épopée des Gaulois
peuples avec lesquels ils avaient eu des contacts.
« Nous les étonnions et nous les inquiétions parce qu’ils ne savaient pas trop d’où nous venions. Ils étaient impressionnés par notre grande taille et nos yeux noirs, et aussi par notre audace dans les combats. Ils pensaient que nous venions des confins du septentrion et que, désireux d’aller vers des régions plus accueillantes et plus ensoleillées, nous nous étions précipités vers les pays où le soleil brille sans cesse et même brûle les imprudents qui s’exposent à ses rayons meurtriers. D’anciens historiens qui n’appartenaient pas à notre nation disaient même qu’ayant rencontré d’autres peuplades, en particulier les peuplades appelées Scythes, nous nous étions fondus dans celles-ci et avions formé une grande troupe connue sous le nom de Celto-Scythes 22 . Mais j’ignore absolument tout des circonstances qui ont présidé à cette appellation.
« Et d’autres récits disent que le pays de nos ancêtres était une vaste contrée qui s’étendait depuis les mers boréales jusqu’aux rivages de ce qu’on appelle maintenant la mer Noire. Or, dans les temps où certains de nos ancêtres firent alliance avec les Scythes, d’autres tribus qui étaient appelées les Cimmériens prirent la fuite et se retrouvèrent dans des régions recouvertes de forêts et d’ombres épaisses, presque inaccessibles aux rayons du soleil. C’est là que nos ancêtres se seraient établis, sur des terres placées sous cette partie du ciel où l’inclinaison des cercles parallèles donne au pôle une élévation telle qu’il est presque le zénith de ces peuples. En plus, comme les jours y sont, dans leur plus longue comme dans leur plus courte durée, toujours à égalité avec les nuits, on y partage l’année en deux parties égales 23 . Quant aux domaines qui avaient été ceux des Cimmériens et qu’ils avaient abandonnés volontairement, les Scythes s’en emparèrent. Mais ils furent stupéfaits de les trouver déserts et l’on raconte souvent qu’ils y découvrirent des clôtures et des murailles que les Cimmériens avaient bâties pour protéger leurs villes 24 .
« C’est dire que nos ancêtres venaient d’orient, mais qu’on ne sait guère exactement de quelle contrée. Aux extrémités du monde, disent les traditions des Hellènes, on rencontre les habitations des Cimmériens, toujours couvertes d’épais nuages et d’une noire obscurité. Jamais le dieu brillant qui illumine le jour n’y porte ses regards, soit qu’il s’élève vers les hauts sommets de la voûte étoilée, soit que son char descende des cieux et roule vers la terre. Une éternelle nuit enveloppe de ses voiles funèbres les malheureux habitants de ces contrées 25 . D’ailleurs, nous dit une autre tradition, il est, dans le pays des Cimmériens, une caverne profonde creusée dans les flancs d’une montagne : c’est la demeure ignorée du soleil. Qu’il se lève à l’orient, qu’il parvienne au milieu de sa course, qu’il plonge dans les flots, le Soleil jamais n’y lance ses rayons. La terre, alentour, exhale de sombres brouillards. Ces lieux ne sont éclairés que par la lueur douteuse d’un éternel crépuscule. Jamais non plus l’oiseau vigilant qu’on appelle le coq à la tête de pourpre n’y chanta pour faire apparaître la lumière du jour. Mais, au fond de la caverne, un ruisseau coule lentement sur les cailloux dispensant une musique qui incite à l’oubli et au sommeil 26 .
Le druide interrompit son récit pour aller mettre deux autres bûches dans le foyer. Puis il revint s’asseoir près de Garganos.
— Tout cela me paraît trop merveilleux pour être vrai…, dit celui-ci.
— Évidemment, répondit Vissurix, mais sache, mon ami, que toutes les merveilles que l’on raconte ne sont guère que des fables, c’est-à-dire des histoires qu’on répète de génération en génération pour transmettre des vérités fondamentales. Il ne faut pas les croire à la lettre mais en découvrir le sens caché. Souviens-toi de tout ce qu’on raconte sur les aventures des dieux, de leurs amours, de leur mort tragique même : ce ne sont que des images. La divinité est par nature incorruptible et éternelle, mais elle subit certaines transformations par l’effet du destin et d’une loi inéluctable. Tantôt c’est par embrasement qu’elle change sa nature en feu et qu’elle assimile ainsi toutes les substances entre
Weitere Kostenlose Bücher