Les 186 marches
de gymnastique. Les traînards ou les « mauvais sportifs » étaient conduits au crématoire. Le kapo du block tuait quelques hommes de sa propre autorité. Il notait les prisonniers qui, pour quelque raison, lui déplaisaient et d’un coup de matraque les tuait net, ou bien les jetait dans la fosse de l’égout d’où les « Stubendiensts » retiraient le cadavre le lendemain. D’autres victimes tombaient sous les coups d’Adam, de Volodja ou de Michou-le-Tartare.
– A la fin de janvier 1945, le block 20 ne comptait plus que huit cents déportés. Sauf quelques Yougoslaves et Polonais participants du soulèvement de Varsovie, qui venaient d’arriver au block, tous les prisonniers étaient des officiers soviétiques. Ils n’avaient plus figure humaine mais restaient Russes et supportaient héroïquement toutes les souffrances. Ils ne désespéraient pas de voir le jour où ils régleraient le compte à leurs bourreaux.
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Mordoucev, enfermé depuis plus d’une heure dans l’enceinte du block 20, n’avait pu établir aucun contact avec les condamnés. Tant de trahisons, de dénonciations s’étaient abattues sur le « collectif » que chaque membre se méfiait de nouveaux arrivants. Soudain, un homme aux pommettes saillantes sortit d’un groupe :
– Bonjour ! me reconnais-tu ?
Mordoucev tomba dans les bras d’Alexandre Tatarnikov. Un Alexandre Tatarnikov qui, en dix jours de block 20, avait, bien sûr, maigri, mais surtout semblait avoir perdu une quinzaine de centimètres tant il s’était voûté. Quant à sa peau, vieille cendre jaunie, elle pendait en vagues souples au-dessous des pommettes.
– « Séparons-nous. Il n’est pas très prudent de rester ainsi. Cette nuit essaie de te glisser dans mon coin, nous pourrons bavarder. Nous avons formé un petit groupe. Il faut bien ! Sans cela nous crèverons tous. »
Au milieu de la nuit, les « sardines » se désemboîtè-rent et se groupèrent au fond de la stube. Tatarnikov présenta Mordoucev à ses amis. Le premier, âgé, barbe blanche au bout du menton, l’œil bleu encore vif, interrogea longuement Mordoucev.
– Je suis le colonel Isupov, aviateur comme vous, alors, vous avez été abattu…
Koblikov, Tchoubtchenko et Vlasov (qui avait ajouté en se présentant : « Vlasov, mais pas de la famille de celui qui a sali ce nom russe par son indignité »), assistèrent à cet interrogatoire. Le colonel Isupov, apparemment satisfait des réponses de Mordoucev, conclut :
– « Il faut dormir maintenant. Préserver nos forces est notre tout premier devoir. Capitaine aviateur Mordoucev, vous devez savoir que nous préparons une évasion. Nous sommes ici tous condamnés à mort. Alors nous allons fuir, non pas seulement pour échapper à la mort, mais pour reprendre les armes dans notre armée. Ne me posez pas de questions… dormez maintenant.
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Nous devons à l’écrivain soviétique Sergei Smirnov, ancien déporté, les premières révélations sur le block 20-Le procès de Nuremberg s’était attaché aux textes, aux responsabilités et les différents ministères publics, persuadés qu’il n’y avait pas de survivants à VAktion Kugel, avaient négligé de rechercher des témoins. En 1958, des déportés de Mauthausen écrivirent à leur ami Smirnov en lui demandant s’il pouvait lancer des appels à la radio et à la télévision : « Il y a sûrement un rescapé du block 20. » Smirnov n’y croyait guère. Il lança cependant l’appel.
– Très vite, j’ai reçu une lettre de Novotcherkask écrite par le contremaître d’une usine de cette ville, Victor Nicolaievitch Ukraintzev. C’était un ancien prisonnier du block de la mort et un participant direct de la révolte. Il avait eu la chance de survivre à la tragédie et de rentrer dans son pays. Ancien lieutenant des armées blindées, il était passé par de multiples épreuves. Il avait été fait prisonnier à Kharkov, avait vécu dans plusieurs camps de prisonniers, avait commis plusieurs tentatives d’évasion et, convaincu d’actes de sabotage dans les entreprises allemandes, avait été finalement condamné à mort comme irrécupérable et envoyé au block 20 de Mauthausen. Pendant l’évasion, il s’était sauvé en compagnie d’un camarade qui, lui aussi, a répondu à mon appel à la radio. C’était un ingénieur-constructeur, Ivan Vassilievitch Bitjukov. Aviateur sur un bombardier, Bitjukov, pendant la
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