Les 186 marches
chef de block : deux étaient Polonais, Adam et Volodia, le troisième, Michou-le-Tartare, était originaire de Crimée. Son vrai nom était Michel Ikhanov. Tl était officier dans une unité de cavalerie de l’Armée rouge et fut fait prisonnier ; il passa alors à l’ennemi et proposa ses services. Mais il commit un vol et fut envoyé dans le camp de Mauthausen. Là il devint kapo et se fit remarquer, le commandant du camp le muta au block de la mort, et Michou-le-Tartare devint le bras droit du « Gorille ». Il torturait et suppliciait ses anciens compatriotes avec un plaisir sadique…
– Le signal du réveil résonnait dans la baraque dès les premières lueurs de l’aube et les hommes couchés les uns sur les autres se mettaient aussitôt en mouvement. Ils s’élançaient et laissaient sur le sol ceux qui étaient morts la nuit. La « toilette » était un simulacre. Chaque prisonnier avait tout juste assez de temps pour s’approcher du lavabo, s’éclabousser la figure de quelques gouttes d’eau et s’essuyer avec la manche ou le pan de sa chemise. Celui qui n’arrivait pas à le faire était battu, celui qui s’attardait devant le lavabo était frappé plus sévèrement. Après cette « toilette », les prisonniers s’élançaient dans la cour et se mettaient en rangs sous les mitrailleuses pointées dans leur direction. En hiver, transis de froid dans leur vêtement minable, les pieds nus noircis par le gel, les malheureux sautillaient sur la neige ou sur les cailloux gelés. Ces hommes, cadavres vivants, le corps couvert d’escarres, de bleus, de plaies, savaient que le jour qui commençait était pour beaucoup d’entre eux le dernier. En piétinant et en remuant sans arrêt pour conserver quelques bribes de chaleur, ils ne cessaient de surveiller les alentours pour ne pas manquer l’arrivée des S. S. Pendant ce temps, les hommes de service, les « Stubediensts » sortaient les cadavres, les traînaient vers l’autre bout de la baraque et les rangeaient en piles, pour les « commodités de contrôle ». Et les prisonniers eux-mêmes faisaient anxieusement le compte. Ils savaient bien que moins de dix cadavres signifiait que « le taux de production » n’était pas atteint et que les S. S. redoubleraient de bestialité pour rattraper le nombre manquant. Mais, habituellement, le « taux » était dépassé.
– Une heure passait et on attendait toujours. Enfin, on voyait apparaître le « blockführer », un S. S. âgé de vingt-cinq ans, un sadique forcené, accompagné d’une suite de bourreaux auxiliaires. Les prisonniers se figeaient dans le rang, têtes baissées : ils ne devaient pas lever les yeux sur les chefs. Alors retentissait le commandement « couchés » et un jet d’eau glacée était déversé sur les rangs des prisonniers par la pompe à incendie posée sur un mirador. Les hommes tombaient les uns sur les autres et les S. S. défilaient lentement devant ces rangs d’allongés en distribuant des coups de trique, en tirant parfois sur les corps. Ensuite retentissait l’ordre : « Debout ! » et les hommes sautaient sur leurs pieds. Ceux qui ne pouvaient plus se lever étaient traînés vers le tas de cadavres (1).
(1) Dans les premiers jours de l’inauguration de l’ »Aktion Kugel », l’appel se faisait dans la cour du block 20, d’une manière identique à celt, de l’appelplatz pour les « détenus ordinaires ». Un Soviétique placé au dernier rang réussit à se faufiler par la porte de fer que les S. S. avaient oublié de fermer à l’extérieur de l’enceinte du block 20.
– Lorsque l’on s’aperçut de son absence, tous les autres détenus du camp durent rester en rangs. En même temps on entreprit une action de recherche qui réussit finalement : le disparu s’était caché dans un block ordinaire, croyant ainsi échapper à la mort par la faim. Lorsque Bachmeyer apprit que l’homme était retrouvé, il se trouvait accidentellement près de moi. Il commença à trépigner de joie et déclara à mi-voix en s’en allant : « Je le tuerai moi-même. » Ce qu’il fit.
« Le lendemain, on inventa l’« appel couché » au block 20 et un S. S. fut chargé de vérifier en permanence que la porte de fer qui faisait communiquer le block 20 avec le reste du camp était soigneusement fermée. »
(Témoignage inédit du commissaire de police allemand Kanthak, détenu à Mauthausen et affecté à la Politische
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