Les 186 marches
auprès de Ziereis. Au cours de l’entretien qui eut lieu, je demandai à Ziereis, en présence de Reiner, d’annuler immédiatement l’ordre de faire sauter l’usine d’avions. Ziereis refusa en déclarant que ce n’était pas lui qui avait donné cet ordre et qu’il ne lui appartenait pas d’annuler les ordres supérieurs. Je fis appel à son grade, à ses sentiments d’humanité. Le commandant de l’usine d’avions expliqua que le plan prévu consistait, au cas où les Américains ou les Russes approcheraient, à rassembler, par le signal d’alerte, dans la nuit du 5 ou 6 mai, les détenus de Gusen I et II, soit environ quarante mille êtres humains, dans les ateliers de l’usine souterraine d’une superficie de 50000 mètres carrés, ainsi que les habitants de Gusen et Saint-Georgen. L’éclatement de 24 tonnes et demie de dynamite disposées à l’avance dans les couloirs ferait alors sauter l’usine avec détenus et habitants. J’obtins pourtant que Ziereis retirât, au moins verbalement, l’ordre de faire sauter l’usine et s’engageât à faire suivre cette annulation aux commandants de l’usine. Il pensait que cette annulation verbale, en ma présence, était suffisante.
– J’étais plein de méfiance à l’égard des S. S. et pénétré de plus en plus de ma responsabilité à l’égard des détenus. Je demandai à Ziereis la permission de me rendre à l’atelier des tailleurs du camp. Il m’y accompagna lui-même et me demanda ce que je désirais. « Un drapeau suisse », répondis-je. Ce n’était pas à proprement parler mon dessein, mais il me fallait absolument un grand drapeau blanc que je me proposais de faire hisser le samedi suivant. Ziereis me quitta en me priant de revenir tout à l’heure à la kommandantur. J’expliquai alors à l’ouvrier qu’outre le drapeau suisse il me fallait un grand drapeau blanc, tous deux d’une dimension de trois mètres sur trois mètres.
– Je me rendis ensuite au garage et je donnai l’ordre aux détenus hongrois qui y travaillaient, de peindre en blanc la voiture « Opel » que Ziereis avait mise à ma disposition, et cela au plus tard pour le samedi matin suivant. Je mis l’un des ouvriers, qui était mon ami, dans ma confidence et je m’entendis avec lui sur la façon dont les choses devraient se passer au camp.
– Je retournai ensuite à la kommandantur où, me trouvant seul avec Ziereis, je lui fis part des dispositions que j’avais prises pour améliorer la situation sanitaire du camp. J’eus alors tout à coup devant moi un autre homme, faible et tremblant, vieilli et découragé. Il me demanda ce qu’il devait faire. Il se leva, se mit à jouer avec des pistolets. Je suivais ses mouvements avec plus de curiosité que de crainte. Mon calme l’impressionna. Soudain, il me dit : « Le séjour au camp ne doit pas être agréable pour vous, je mets ma maison à votre disposition ; elle est en dehors du camp où il se joue des scènes un peu insolites pour un novice. J’ai pris la décision de gagner le front russe, avec une partie des troupes de garde, pour combattre contre les Russes. Il restera plus de deux mille hommes pour la garde des camps, ce qui est suffisant. »
– Ziereis me conduisit à la serrurerie où il donna l’ordre qu’on fasse pour moi un double de la clé de sa maison. Une heure plus tard, il me conduisit en voiture avec Reiner à sa maison. Il nous la fit visiter avec un calme effrayant : la chambre d’enfants, le salon, la salle de chasse, les trophées d’armes ; autour de la maison : la basse-cour, les ruches, la piscine… Mais j’aime mieux vivre avec les détenus que dans la confortable villa de ce monstre. Je prends néanmoins la clé qu’il me tend. Si mon séjour au camp doit se prolonger, je pourrai y installer un home d’enfants. Ziereis nous quitte. Nous rentrons à pied au camp. Reiner et moi.
– Il y a de l’agitation au camp ; des mitrailleuses de renfort sont amenées aux postes de garde ; des caisses de grenades à main sont distribuées ici et là ; des soldats S. S. construisent de nouveaux nids de mitrailleuses. On renforce partout la défense. Le camp est en fermentation. Moi qui croyais à une remise pacifique du camp aux Russes ou aux Américains ! Je suis inquiet.
Dans la nuit, le capitaine Kern, de la Schutzpolizei de Vienne, remplace le commandant Ziereis et ce sont des policiers viennois qui occupent, désormais, les postes de garde.
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