Les 186 marches
charrettes à chevaux pour rentrer des pommes de terre, plus ou moins avariées, au camp, mais qui permettront aux détenus de se mettre au moins quelque chose sous la dent.
– Je reproche vivement à Ziereis la façon dont les colis déchargés ont été répartis avant mon entrée au camp. Une partie seulement en a été distribuée aux détenus et plusieurs colis avaient été vidés de leur contenu le plus précieux : lait condensé, chocolat, biscuits, beurre…
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– Dans la matinée du 29 avril 1945, nous arrivions au camp. Nous venions de Steyr. Le retour au camp central c’est, d’abord, comme lors de notre arrivée, le passage obligatoire aux douches ; c’est aussi le premier contact avec l’organisation clandestine du camp. Notre camarade espagnol, Jean Pages, friseur du block 3, chargé de la liaison, est présent à notre arrivée. Il me fait part de sa surprise de me voir, car, sur le registre du camp, je figurais parmi les morts. Tout en me rasant, il me dit que tous les Français, Belges, Luxembourgeois du camp central capables de supporter le voyage ont été rapatriés par la Croix-Rouge française, qu’il y a eu déjà trois convois, le dernier étant parti la veille.
– Je revois encore ce brave camarade Pages, les yeux brillants de joie, me dire : « Tu sais, ils sont foutus, c’est la fin. » Avant de me quitter, il me dit aussi qu’il reste au Revier des Français qui, très malades, n’ont pu être évacués, mais qu’un Français du camp central est resté volontairement pour s’en occuper et qu’il sera prévenu de notre arrivée. Nous quittons les douches (à poil comme d’habitude) pour rejoindre les blocks de quarantaine où nous trouvons des Français venant de Gusen et d’autres kommandos. Première constatation : nous sommes traités par les autorités du block avec beaucoup plus d’égards que les fois précédentes.
– Prévenu par Pages, Emile Valley (car c’était lui le volontaire) vient vers nous. Il nous confirme le départ de tous les Français, nous dit que nous avons été ramenés à Mauthausen pour être également rapatriés ; il insiste sur l’urgence de constituer un comité français-de libération, ainsi qu’un appareil militaire. Valley nous quitte après que nous l’avons eu mis au courant de notre situation. Il ne tarde pas à revenir pour nous demander de prendre les deux pannières du block et de désigner huit camarades parmi les plus costauds. Nous partons, « Mimile » en tête, vers un block où nous attend un sous-officier de la Wehrmacht qui nous remet, pour chacun des nouveaux arrivés, un colis déposé par la Croix-Rouge. Pour la première fois, depuis le début de notre déportation, nous recevions un colis et il nous était remis intégralement, c’est-à-dire sans que les S. S. et les chefs de block eussent prélevé quoi que ce fût. Avec le recul du temps, cela peut sembler un fait sans importance, pourtant cela a été très salutaire pour notre moral car, partis de Steyr pour être libérés, nous nous retrouvions, à nouveau, à Mauthausen… Notre préoccupation première fut la recherche de l’aide pour nos plus grands malades. Il y avait parmi nous plusieurs médecins et tous se mirent à la disposition du comité.
– Nous étions environ mille deux cents Français dont l’état de santé était, en général, catastrophique ; la dysenterie faisait des ravages. Emile Valley put nous procurer quelques médicaments et, en particulier, du charbon récupéré dans les masques à gaz.
– Pour les groupes armés, plusieurs centaines de camarades acceptent de faire partie des troupes de choc ; quarante, parmi les plus valides, sous le commandement du colonel Thozet, sont mis à la disposition du major Pirogow (Soviétique), chef de la défense du camp.
Louis Haefliger comprend « qu’il n’est pas loin d’avoir la situation en main ». Il me fallait, dira-t-il à son retour à Genève, « donner un ou deux coups d’accélérateur ».
– Durant la nuit du 2 au 3 mai, j’engageai mon voisin de lit, Reiner, à me révéler les ordres donnés en vue de détruire les camps de Gusen I et II et de Mauthausen. Reiner – un ancien employé de banque – se confia à moi sans me cacher qu’au cas où ses confidences seraient connues, nous serions bons tous les deux pour une balle dans la nuque.
– Je lui ordonnai de mander, le 3 mai, le commandant de l’usine d’avions de Gusen
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