Les 186 marches
Trébia)
Et cet officier français d’origine polonaise eut un bon sourire. Et tout à coup nous vîmes sur la route qui contournait le Revier pour monter au grand camp une voiture blanche – du même aspect que celle du camarade suisse qui était venu chercher les femmes de Ravensbruck et les ramener en Suisse.
– Cette voiture montait lentement, à l’avant était accroché un immense drapeau blanc et derrière suivaient deux voitures-chenilles américaines avec mitrailleuses, canons et tout le personnel servant ;
– Ce fut la ruée des infirmes et des malades vers les barbelés, certains se traînant à quatre pattes vers eux, alors que les gardiens des miradors apprêtaient leurs armes. La minute fut tragique. Dix minutes après, les gardes-chiourme descendaient des miradors sous les huées. Quelques-uns subirent le sort qu’ils avaient mérité, d’autres furent conduits au bunker.
– Hélas ! deux heures après, les autos-mitrailleuses américaines repartaient, laissant le camp livré à lui-même et sous la menace du retour des S. S. qui étaient rassemblés dans l’île du Danube, à Mauthausen, sous les ordres de Bachmayer, commandant du camp.
– En accord avec le comité international de Résistance du camp, des malades valides du Revier furent armés pour se protéger contre un retour offensif des S. S. échappés, et d’une population environnante douteuse. Certains franchirent les barbelés très vite pour chercher à manger dans les fermes avoisinantes à 500 ou 600 mètres du Revier, et tenues par les familles S. S. qui avaient fui. Il n’y avait plus rien malgré les recherches faites par nos camarades espagnols, les plus anciens internés survivants des Brigades internationales. La situation était tragique même pour des gens habitués à ne rien manger, l’eau manquait totalement.
Les morts, tirés des baraques, s’entassaient les uns sur les autres. Ils séchaient au soleil. Un peu de peau sur beaucoup d’os ! Il n’était plus possible de maintenir le moindre semblant de propreté.
– La joie de la libération ne permettait même plus la protection des malades.
– C’était magnifique et affreux !
– Un tank américain, armé de canons et de mitrailleuses, apparaît à la porte d’entrée, suivi de deux autochenilles ; les policiers viennois descendent des miradors : nous sommes libres ! Tous ceux qui étaient informés des intentions de Bachmayer sont soulagés, nous l’avions échappé belle !
– Une immense clameur s’élève ; la place d’appel est noire de monde ; on applaudit les soldats ; tout le monde veut toucher le tank ; on s’embrasse, on court ;. certains d’entre nous vont vers les camarades qui sont restés dans les blocks en raison de leur faiblesse.
– Sur le fronton, au-dessus du portail d’entrée, nous voyons se déployer une immense banderole confectionnée clandestinement par nos camarades espagnc’s, prouvant, s’il en était besoin, la puissance de l’organisation clandestine. Cette banderole, écrite en espagnol, saluait la victoire des Alliés, nos libérateurs. En même temps, sont hissés, des deux côtés du fronton, des drapeaux de toutes les nations, confectionnés eux aussi clandestinement. Le comité international invite un représentant de chaque nationalité à prendre la parole du haut du porche de la porte d’entrée.
– Nous cherchons le père Jacques, mais il est de ceux qui, gravement malades, ne peuvent venir sur la place d’appel (évacué par la Croix-Rouge quelques jours après notre libération, il mourra dans un hôpital de Linz). On cherche « Mimile » : il est introuvable car il s’occupe de tout et est partout à la fois. Alors, des camarades me demandent de représenter le comité français et me voilà grimpé sur le porche où chacun intervient. Lorsque c’est mon tour, je demande aux Français de rester bien groupés autour de leur comité de résistance et de défense. Je remercie les Alliés de nous avoir libérés et je termine en criant : « Vive la liberté ! Vive la France ! »
– Alors, j’entends s’élever la Marseillaise, d’abord comme un murmure, puis bien vite le ton monte et le refrain est repris par tous : c’est formidable ! Nous étions d’un seul coup remis à notre place. La Résistance française était peu connue dans le camp ; certains, mal informés, nous reprochaient la capitulation, la collaboration ; des Espagnols nous
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