Les 186 marches
Deux membres du comité international, le docteur Durmeyer et Hans Marsalek obtiennent du nouveau responsable de Mauthausen qu’aucun garde ne pénètre dans le camp.
– 5 mai 1945. – J’ai été réveillé par un lointain roulement d’orage. Un violent feu d’artillerie couvre la région de Linz. La situation me paraît de plus en plus inquiétante. Le sort de soixante mille êtres humains est en jeu. Leur destin doit se décider aujourd’hui. Mon destin est lié au leur, Il faut que j’agisse coûte que coûte… Je me tourne vers Reiner : « Reiner, venez-vous avec moi tout de suite dans la zone de combat américaine ? » Reiner, à qui j’ai fait enlever l’insigne de la tête de mort de sa casquette, est d’accord. Je remets à l’homme de confiance du camp le drapeau suisse et le drapeau blanc. Il est convenu que dès qu’il verra venir ma voiture peinte en blanc, il abaissera le pavillon à croix gammée et hissera le drapeau blanc. Il est surpris de ma décision ; il me supplie de mettre tout en œuvre pour libérer le camp. Nous partons, Reiner et moi. A Saint-Georgen, je me rends auprès du bourgmestre et lui expose mon plan. Je lui demande de laisser ouverte la défense antitanks. Je demande aux autorités, si elles veulent que leur commune soit comprise dans les opérations de libération, que toutes les armes soient abandonnées et que l’engagement soit pris que, au cas où je réussirais à atteindre les lignes américaines, aucun coup de feu ne serait tiré. Ce n’est que si ces conditions sont assurées que je pourrai continuer ma route au-delà de Saint-Georgen vers la zone de combat et intercéder pour la libération des communes. Ces garanties me sont absolument nécessaires pour poursuivre mon entreprise. Les autorités approuvent chaleureusement notre plan et nous souhaitent plein succès. Nous continuons notre route et roulons vers Gallneukirchen-pour rejoindre la grande route de Budweiss et gagner Urfahr où nous supposons que se trouvent les Américains. Plus vite que nous ne nous y attendions, nous nous trouvons devant le front. J’aperçois de loin un gros tank pourvu d’un canon lourd. J’arrête la voiture et prends un bâton auquel j’attache un linge blanc pour toute éventualité. J’engage Reiner à laisser son pistolet dans la voiture. Nous avançons prudemment. Je prie aussi le chauffeur, un lieutenant de la police des pompiers de Vienne, de nous accompagner également désarmé.
– Je n’aperçois aucun soldat. On voit seulement les bouches des canons se mouvoir vers la gauche ou la droite. J’ordonne à mes compagnons de s’arrêter et je m’avance seul vers les canons, mon pavillon blanc à la main, espérant voir enfin les hommes qui épient derrière les meurtrières venir au-devant de moi. Des trappes s’ouvrent et de jeunes hommes armés surgissent. Ils s’étonnent de me voir et de m’entendre leur demander, en mauvais anglais, de me mettre en rapport avec leur commandant. L’un d’eux, qui sait l’allemand, traduit ma demande qui est transmise au commandant de la II e division qui opère devant Linz. Ma demande est nette : l’avant-garde des tanks, composée de deux ou trois tanks lourds et autant de tanks légers avec leur équipage d’une trentaine de soldats américains, et en outre cinq cents soldats doivent aussitôt venir assumer la garde du camp et désarmer les quelque cinq cents S. S. qui s’y trouvent encore, ainsi que les membres du Volkssturm et les troupes de renfort de la police viennoise. Je donne la garantie au commandant américain qu’aucune résistance n’est à craindre de la part de la population civile. Le commandant me donne son assentiment par radio, en m’avertissant que je suis responsable de la vie de chaque Américain. Mes deux compagnons doivent prendre place dans un tank ; un Américain s’installe à côté de moi dans l’Opel, et nous roulons de nouveau vers Saint-Georgen, suivis des autres tanks. Une joyeuse surprise nous accueillit dans cette commune. Les autorités et la population nous comblèrent de remerciements et les Américains furent reçus comme des libérateurs. Notre arrivée causa la même joie à Gusen. Au camp de Gusen II, je me rends chez le commandant et obtiens sa parole qu’aucun coup de feu ne sera tiré et que l’ordre sera maintenu. Mais il faut d’urgence se rendre à Mauthausen où les S. S., suivant des messages qui me parviennent, intensifient les travaux de
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