Les 186 marches
le camp. » Signé Ziereis.
– Ce télégramme me fournissait un prétexte pour rester dans les environs du camp et j’en exprimai à Ziereis ma ferme volonté : je viendrais chercher la réponse au télégramme, même si je devais parcourir chaque jour à pied les dix kilomètres qui séparent Saint-Georgen de Mauthausen. Ma méfiance à l’égard des S. S. ne faisait qu’augmenter.
– La colonne reprit le chemin de la Suisse, emmenant un certain nombre de ressortissants des Puissances de l’Ouest et je restai seul à Saint-Georgen. Durant trois jours j’attendis la réponse au télégramme et demeurai dans le voisinage du camp maudit où les détenus, à leur entrée, étaient accueillis par ces mots ironiques des sous-officiers S. S. et des employés : « Demain, vous ne vivrez plus… » Malgré tout, je persiste dans ma volonté de pénétrer dans ce camp, pleinement conscient de la responsabilité que j’assume à l’égard de ma famille. Les personnes qui connaissent Ziereis cherchent en vain à me faire renoncer à ma décision en me disant que c’est tenter Dieu, que c’est un suicide…
– Le troisième jour, emportant tous mes effets, je me rendis en voiture au camp où, forçant la consigne, je me fis immédiatement introduire auprès de Ziereis. Je lui déclarai fermement que, ne comptant plus sur la réponse de Kaltenbrunner, je demandais l’autorisation d’entrée. Ziereis me désigna alors comme quartier la chambre de l’Obersturmführer Reiner que j’aurais à partager avec lui : le délégué du C. I. C. R. dormirait côte à côte avec un S. S. dont la casquette s’orne d’une tête de mort ! Pour les détenus que je sentais terrorisés autour de moi, j’acceptai cette torture !
– Les jours suivants, j’eus des pourparlers avec Ziereis sur la situation exacte qui prévalait au camp : manque de pain, de vêtements, de souliers, effroyable disette de linge. Le camp de Mauthausen était surpeuplé ; ceux de Gusen I et II pleins à craquer. Les malades étaient à cinq dans d’étroits lits de camp ; il y avait soixante mille êtres humains – hommes, femmes, enfants. Ziereis ne savait plus où donner de la tête… Il accélère tant qu’il peut l’œuvre de destruction. La cheminée du crématoire fume jour et nuit. Depuis des jours, les détenus n’ont pas reçu de pain. L’état sanitaire est tombé au plus bas. Ils meurent de faim. Ziereis lui-même feint de s’en émouvoir. Il affecte de s’apitoyer, cet homme avec qui je dois prendre mes repas, ce monstre qui, un jour, fit conduire un camion chargé de cadavres devant la fenêtre de sa femme, en se vantant de son œuvre !
– Je propose de me rendre à Linz auprès du Gauleiter Eigruber pour tenter d’obtenir sans délai de la farine. Linz est alors sous le feu des Américains. Je pars néanmoins, je prends comme chauffeur mon voisin de lit, le S. S. Obersturmführer Reiner. Je veux l’éprouver, tenter de le gagner à ma cause. Ziereis me rend attentif aux risques de l’expédition…
– Nous arrivons à 10 heures du soir auprès du Gauleiter Eigruber et du chef de l’économie paysanne. La misère qui règne ici est indescriptible. Ma demande de farine pour Mauthausen et Gusen est rejetée. Mais on m’indique que près de Mauthausen un bac s’est échoué avec quelques wagons de blé. Je suis autorisé à récupérer ce blé. Mais j’ai encore quelque chose à obtenir d’Eigruber ; je désire communiquer avec Genève… J’obtiens d’envoyer un télégramme à Genève, du télégraphe de Linz, installé dans une cave et où je suis l’unique civil. Je réclame de Genève l’envoi de pain, de vêtements, de linge, de souliers. Le télégramme est parti, mais est-il arrivé ? Dès mon retour à Mauthausen, je discute avec le chirurgien Podlaha de la gravité de la situation. Il me décrit son impuissance à l’égard de la direction du camp. On ne lui donne aucun moyen pour assurer aux détenus un traitement humain ; depuis des semaines ils n’ont pu être lavés ni désinfectés. Ils errent, vêtus de lambeaux innommables. Je réussis à organiser une conférence entre le chirurgien Podlaha, Ziereis et moi-même. Sur ma proposition, Ziereis donne l’ordre que les détenus prennent un bain et soient désinfectés immédiatement ; pendant ce temps, les vêtements qu’ils portent seront lavés.
– Je demande en outre à Ziereis de mettre à ma disposition quarante
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