Les 186 marches
américain qui aussitôt fit entrer sa petite troupe dans le camp avec ses cinq autos-mitrailleuses.
– Les Belges réunis aux Français dans le block de quarantaine n° 17, venaient de prendre, après le matraquage habituel journalier, leur maigre repas. A cette date, l’ordinaire consistait, le matin, en un quart de malt, le midi en une soupe claire, et, pour le soir, un pain de un kilo pour dix-huit hommes, généralement sans le moindre supplément. Malgré ce régime d’affamé, le moral était excellent.
– Il était aux environs de midi. J’étais à l’extérieur du block, torse nu, en train de faire mon « contrôle de poux journalier ». Tout à coup, une exclamation fuse : « Les Américains… les Américains entrent dans le camp ! » Mes voisins et moi nous nous regardons indécis, sceptiques, hagards même. N’est-ce pas encore un de ces « tuyaux » de « Radio-Barbelés » comme nous en avons déjà tant connu. Vu notre état de faiblesse, s’indique-t-il que nous risquions encore une course inutile au-delà des murs électrifiés de notre quarantaine ? Mais bientôt, tout « se met à bouger » dans nos blocks. Les hommes semblant mus par d’invisibles ressorts, se dressent e v t… c’est la ruée vers la porte de sortie de la quarantaine, non sans avoir bousculé le cerbère, armé de son éternelle « trique », qui nous défend la sortie du block et, après avoir malmené assez fort quatre de nos camarades qui transportaient les cadavres de deux des nôtres vers le four crématoire. Comment cela a-t-il pu se réaliser alors qu’il y a quelques minutes encore nous risquions, à chaque instant, la mort violente par le fait des nazis ? Cela c’est le secret de l’organisation des prisonniers.
– Au centre du balcon de la poterne d’entrée, entre les deux miradors où nous avions si souvent vu se mettre les mitrailleuses en batterie à l’occasion des appels… un soldat casqué, et en kaki… puis un second, et un civil… Anglais ? Américains ?… et ce civil ? Au bas, des S. S., des Volkstürme s’arrachent les boutons, les pattes d’épaule. Ils sont mêlés, tout penauds, au milieu des prisonniers qui exultent et qui ne pensent même pas à se venger sur-le-champ des sévices qu’hier encore ils infligeaient pleins de cynisme à tous les nôtres. Est-ce un rêve ou une réalité ? Est-ce bien le rouleau irrésistible des nations démocratiques qui vient d’enfoncer un coin dans le lourd portail de Mauthausen ? Je ne sais que penser. Je questionne, je m’enquiers, je me fais rabrouer. On me répond en allemand, en français, en tchèque. « Voyez. Ils sont là ! Nous sommes libres… » On s’embrasse à la cantonade… Nous cessons d’être les perpétuels fiancés de la mort, nous allons vivre… Quelle explosion de saine démocratie, quelle manifestation de fraternité des masses… Je retrouve à mes côtés deux instituteurs de mes amis : un Sarthois et un Vendéen. Adelet et Bossy qui furent mes deux meilleurs compagnons de captivité. Le premier s’essuie les yeux sur mon épaule et me crie, en pleurant de plus belle : « Jean, c’est fini ! » Charles Bossy qui me serre ensuite dans ses bras, s’écrie : « Jean, c’est le 5 mai aujourd’hui. Il y a deux ans que vous êtes dans cet enfer, et c’est aujourd’hui le jour de la délivrance ! »
– Le grand porche d’entrée s’ouvre alors sous la pression irrésistible des prisonniers assoiffés de liberté et heureux d’acclamer ces soldats servant sous la bannière étoilée qui, en un tour de main, et avec cinq blindés, viennent d’en délivrer vingt mille…
– Le comité international avait pris la décision d’exécuter les éléments les plus criminels des S. S. ou des « droit commun ». Les Américains ne partageaient pas toujours cette opinion et c’est ainsi que quelques tanks américains ont pénétré à l’intérieur du camp afin d’empêcher que les Soviétiques ou les Yougoslaves ne puissent exécuter certains de leurs bourreaux. Ils arrivèrent à les enfermer dans des baraques gardées par une sentinelle. Cette situation a duré jusqu’au rapatriement total de ces déportés.
– Dans la nuit du 5 au 6 mai, nous avons fait justice des kapos Marion, du Baukommando ; Chony, de la carrière ; Pezan et cinq autres dont les noms m’échappent. D’autres ont été exécutés en raison de leurs innombrables crimes : le chef de
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