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Les 186 marches

Titel: Les 186 marches Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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des pierres se poursuit. A chaque instant il est fait des exécutions. Ce sont les cinquante dernières marches de l’escalier qui forment la partie la plus éprouvante de notre calvaire ; on y titube sous la charge et les jambes deviennent de plomb. C’est là que les S. S., guettant les défaillances, se tiennent de préférence. A chaque voyage, on peut dire que l’on joue sa vie sur ces cinquante marches fatidiques.
    – Midi, l’heure de la soupe marque une trêve de cinquante minutes. Ces cinquante minutes de détente nous sont dévolues uniquement parce que les S. S. aiment prendre tout leur temps pour manger. Les kapos sont à l’affût des restes des S. S. et nous laissent en paix. Moment béni de la journée, faisant suite à la bagarre de la distribution de la soupe aux rutabagas. Cette distribution de la soupe est caractéristique du degré d’avilissement animal où notre misère et notre faim nous ont amenés. A l’arrêt du travail, il faut se ruer littéralement au rassemblement car, de la place qu’on y occupera, dépend l’ordre dans lequel on sera servi. C’est une bousculade indescriptible, les plus forts repoussant les plus faibles. Naturellement l’ordre est rétabli à coups de trique. En tête se trouvent de droit les malfaiteurs de race allemande, qui sont les premiers servis. Vient ensuite le tour de la plèbe. Il importe alors de suivre les initiés car ils savent aller droit à celui des kapos qui sert le moins irrégulièrement. « Suis-moi », m’a soufflé un ancien, et de fait, notre file a reçu à peu près son compte. « Et puis, il va au fond, celui-là », me fait remarquer l’obligeant ancien, quadragénaire grisonnant qui a dû avoir un physique opulent du temps où il était un homme libre. Ainsi toutes les forces vives d’hommes naguère raisonnables sont uniquement tendues vers l’obtention plus ou moins large d’une nauséabonde pitance. Quelle déchéance ! Et déchéance qui réjouit nos geôliers, leur plaisir n’étant complet que lorsqu’ils ont réussi à provoquer une bataille entre quelques détenus pour une gamelle mieux remplie.
    – Nous nous laissons gagner par la douceur de la détente qui suit le repas. Plus de hurlements, plus de coups, plus de tortures, plus de meurtres ; on n’ose y croire ! Hélas ! ces minutes fugitives sont tôt révolues. De nouveau rassemblement, contrôle des présents et transport des pierres. La fatigue nous broie mais nos volontés se tendent ; il faut à tout prix tenir jusqu’au soir, doubler le cap de la journée. Vers la fin de l’après-midi, la cadence marquée par les kapos s’accélère ; c’est l’heure choisie pour la liquidation définitive des moins résistants. On choisit aussi les plus lourdes pierres et tous ceux qui lâchent pied dans l’escalier reçoivent une poussée finale. Ou bien, comme cela se fait couramment pour les Juifs, on les ramène au pied de la carrière et, du haut de la muraille, les S. S. font basculer d’énormes blocs qui les écrasent. Une variante consiste à faire au contraire le rassemblement en haut et à précipiter les victimes dans le vide les unes après les autres. Il arrive encore que les deux opérations soient conjuguées et que le groupe d’en bas soit écrasé alternativement par des blocs ou par des camarades tombant d’en haut. Notre dernier travail de la journée consiste à rassembler les corps mutilés des morts, les remonter et les ramener aux fours crématoires du camp.
    – Nous réintégrons le camp, ivres de fatigue, pour y être en butte à de nouvelles vociférations et de nouveaux coups. Au passage, nous voyons d’autres kommandos qui reviennent aussi du travail en ramenant leurs morts. Sur la place d’appel, nous avons le spectacle de trois détenus tenant chacun un rutabaga sur la tête. Ces pauvres diables, tenaillés par la faim, ont, au cours d’une corvée de déchargement, mordu dans un légume. Leur visage tuméfié témoigne des coups qu’ils ont reçus. Ils resteront toute la nuit dans la position où nous les voyons. A l’appel de demain matin, ils recevront vingt-cinq coups de nerf de bœuf, après quoi on les pendra.
    – A l’appel du soir, lecture est faite d’une liste de numéros qui a été remise par le kapo du kommando. Il s’agit de détenus dont les matricules ont été relevés parce qu’ils ne faisaient pas preuve d’un zèle suffisant dans le travail. Ils ont déjà reçu une copieuse ration

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