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Les 186 marches

Titel: Les 186 marches Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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tout allait ainsi sans histoire. Rapidement, je ne fus pas le seul à agir ainsi.
    – Mais j’avais un grave ennui ; la « claquette » me blessait. Le morceau de cuir racorni faisant office de lanière, m’entaillait les pieds. A la pause de midi, pendant la soupe, j’ai naïvement été trouver le Blockaltester (chef de block). C’était un « vert allemand » à la démarche chaloupée, tatoué de partout, que l’on avait aussitôt surnommé Popeye, sinistre brute, vivant entouré d’éphèbes, pour lui demander un outil me permettant de réparer ma « chaussure ».
    – Je fus très mal reçu et accusé de sabotage (ce mot étant hurlé) pour vouloir modifier un objet appartenant au Reich. Je n’insiste pas, mais je prends la ferme résolution d’échapper, à l’avenir, aux promenades à la carrière. Je souffrais également, sur le corps, de brûlures faites au fer rouge, lors de mes interrogatoires par la Gestapo. Ces blessures non cicatrisées et suppurantes me faisaient également beaucoup souffrir sous mes guenilles répugnantes.
    – J’avais remarqué, le matin, au moment du départ pour la carrière, Popeye extrayant, au hasard, deux hommes des rangs. Ils étaient restés au block, pas du tout ravis de leur matinée. Leur travail avait consisté à empiler dans un coin de la baraque, les paillasses constituées de vrillons de bois et de papier ; dégoûtantes, pleines de puces et de poussière, à moitié éventrées ainsi que les couvertures en loques qui nous avaient servi pendant notre première nuit. Ces deux camarades n’étaient pas enthousiastes pour recommencer, ayant eu sur le dos, sans cesse Popeye et ses mignons, et ayant été obligés de se livrer à de nombreux travaux pas ragoûtants, comme le curage du trou servant de w.c. dans la cour. Néanmoins, je décidais de m’efforcer de rester au block, le lendemain, et de voir venir. Ce qui fut fait.
    – Avec mon ami l’abbé Hervouet, resté avec moi, nous avons lentement, très lentement, avec un soin inouï, sorti couvertures et paillasses ; nous les avons longuement secouées et battues, puis, artistiquement ! empilées dans un coin, en deux tas, tirés au fil à plomb. Devant notre soin et la qualité de notre travail, Popeye et son harem, éberlués, nous regardaient faire sans intervenir. Mieux, j’avais repéré, dans un coin, un bidon contenant un liquide jaunâtre, sombre, du genre huile de vidange ; avec une guenille, j’ai, dans un angle de la « stube », graissé le parquet de ce liquide ; en frottant un peu, l’on obtenait l’apparence d’un parquet ciré. J’appelle Popeye, lui montre le travail et, inquiet, j’attends sa réaction. Ce fut de l’enthousiasme, il qualifia mon œuvre de « wunderbar, herrlich » (magnifique, superbe).
    – Le feu vert était donné et pendant tout notre séjour au camp de Mauthausen, l’abbé, deux hommes de renfort, en raison de la surface à cirer et de la lenteur de notre travail, et moi-même, nous avons frotté le parquet avec cette matière visqueuse. Nous avions trouvé notre première planque dans laquelle nous avions une réelle tranquillité. Le parquet était un peu gras et collant, mais les victimes en furent les puces qui s’y engluaient. Cette planque aurait pu durer indéfiniment, parce que, tous les matins, tout était à refaire à cause de ce qui tombait des paillasses et aussi à cause du piétinement de centaines d’hommes.
     
    ★ ★
     
    – Ce travail de la carrière, qui exténuerait un homme bien nourri et en bonne condition physique, devient un martyre pour les pauvres êtres sous-alimentés que nous sommes. Dès le premier tour, nous avons les jambes brisées ; il semble que jamais nous n’atteindrons le sommet. Et ce n’est que le début de la journée. Inexorablement, la file des porteurs de pierres poursuit son ascension parmi les hurlements et les coups, à la cadence imposée par les kapos. Quand un malheureux chancelle et que S. S. et kapos se précipitent pour l’assommer, un arrêt se produit dans l’escalier et – j’ai honte de le dire – c’est une pause inespérée pour ceux qui suivent. Les S. S. veillent d’ailleurs à ce que la pause ne se prolonge pas. Si les coups sur la victime chancelante sont restés inefficaces, l’escalier est vite dégagé : une violente poussée et l’homme, précipité dans le vide, vient s’abîmer sur les pierres au fond de la carrière. Sans trêve, le transport

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