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Les 186 marches

Titel: Les 186 marches Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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de horions à la carrière, mais on les condamne en outre à subir, au choix, 25 coups de nerf de bœuf ou une douche glacée d’une demi-heure. C’est la punition-type appliquée aux moindres peccadilles. Le détenu qui a reçu vingt-cinq coups de nerf de bœuf ne peut plus s’asseoir pendant au moins trois semaines, tant les chairs sont ravagées. Souvent même, les plaies non soignées s’enveniment et provoquent des accidents mortels.
    – Pour la rentrée au block, il y a innovation : comme nous sommes maintenant vêtus d’un pantalon et d’une veste, il nous faut nous déshabiller dehors avant de traverser le sanctuaire du chef de block. Le personnel du block est très satisfait de nous voir dégager les stuben pendant la journée pour aller à la carrière. Cela permet à ces messieurs des siestes prolongées, et ils ont de plus, tout loisir pour prélever la part du lion sur les rations de pommes de terre et de margarine. En passant dans la stube du chef de block, nous pouvons voir sur le poêle, une gamelle dans laquelle se dorent des pommes de terre qui répandent une odeur bien appétissante. Il ne faut pas s’étonner que l’ordinaire des caïds soit plantureux car tous les postes de cuisiniers, garde-magasin, etc. sont aux mains de la pègre allemande et, d’autre part, les S. S. sont pleins d’indulgence pour tous les larcins commis au détriment des détenus. Il faut un scandale vraiment énorme pour qu’une sanction intervienne et, même dans ce cas, le châtiment est dérisoire. Après une légère correction, le coupable est simplement affecté à quelque kommando travaillant non loin de Mauthausen où il a tôt fait de reprendre du galon. Souvent même, on le voit revenir à son ancienne unité au bout de deux ou trois mois pour y faire partie de la première promotion de kapos.
    – Notre ami le chef de block se préparait donc à faire un repas substantiel tandis que, brisés par cette journée à la carrière, nous allions subir la bagarre nocturne habituelle. En fait, il y eut moins de combativité cette nuit-là (d’abord parce qu’il y avait des vides dans la stube, et ensuite parce que notre fatigue appelait véhémentement le sommeil). Seuls quelques camarades brûlants de fièvre continuèrent à s’agiter pendant que le sommeil nous terrassait.
    – Ah ! au réveil, la nouvelle journée s’annonçait bien ! Rompus, courbatus, nous tremblions sur nos jambes en nous mettant debout. Plusieurs parmi nous n’avaient réussi à traverser la journée de la veille qu’en bandant jusqu’à la limite de la rupture tous les ressorts de leur énergie. Les yeux agrandis par la fièvre, le corps grelottant, ils étaient certes les victimes désignées d’avance pour le tableau du soir. Le réseau, grâce au ciel, tenait bon. Nous avions réussi à ne pas nous trouver trop séparés les uns des autres et nous pouvions échanger quelques mots à la faveur d’un rapprochement passager et à ne point nous perdre de vue au travail.
    – Dès notre arrivée à la carrière, S. S. et kapos avaient repéré les malades et se les montraient en souriant. Le mot d’ordre ce matin était de faire durer le plaisir et de n’assener le coup final aux victimes, que lorsque leur agonie les aurait rendus insensibles. Pour l’instant, on s’en tenait aux coups. Un S. S. fit même aider un malheureux en difficulté au milieu de l’escalier et qui n’avait vraiment pas encore assez souffert pour goûter la mort miséricordieuse. Le même S. S. s’attacha dis cette minute aux pas de ce détenu malade, le fouaillant de sa matraque, l’obligeant à courir avec sa charge, et le pauvre être, dans une crispation d’énergie désespérée, sentant la mort qui le guettait, avançait haletant, les yeux exorbités, titubant, trébuchant, mais toujours debout jusqu’au moment où, ayant excédé les limites de l’effort humain, il s’écroula enfin. Le S. S., tâtant du pied ce corps meurtri et ne lui sentant plus de réaction, estima alors que le jeu était fini et acheva sa proie d’une rafale de mitraillette. Au soir, notre charge morte fut lourde et les crématoires firent bonne chère.
    – Quelques  instants encore et nous voilà devant un escalier abrupt. Loin en bas, je distingue une immense carrière avec au fond une fourmilière humaine, s’agitant entre des blocs de granit. Il en monte le bruit des marteaux-piqueurs, mêlé aux sifflets des surveillants et aux appels rauques des

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