Les 186 marches
différente. La victime était placée debout sur un escabeau, les mains derrière le dos. On liait les poignets à une corde fixée au plafond puis on ôtait l’escabeau et l’homme restait ainsi suspendu, mais sans chute brutale. J’ai dit qu’au début les mains étaient ramenées en arrière à la hauteur de la ceinture. Sous le poids de l’homme, le corps, peu à peu, redescendait, grâce à un mouvement forcé de l’articulation scapulo-humérale, le point d’attache des mains restant fixe. On sait que normalement, le mouvement d’extension du bras (dit de projection en arrière), est très limité : il atteint à peine 30 à 35°, tandis que celui de la flexion (ou de projection en avant), atteint 110 à 120°, le bras pouvant en réalité atteindre ou dépasser la verticale grâce à un déplacement complémentaire de l’omoplate.
– Au cours de la torture, le bras accomplissait en arrière du plan du corps, un mouvement d’amplitude, absolument anormal, qui finissait par l’amener à la verticale, les mains se trouvant en fin de course toujours au même point de l’espace mais très au-dessus de la tête, l’épaule étant descendue de haut en bas, le corps s’étant abaissé sous l’influence de son propre poids, les pieds se trouvant presque au ras du sol. Cette descente lente due à une dislocation de l’épaule et accompagnée d’une élongation des nerfs durait plusieurs minutes. L’homme restait ainsi suspendu généralement une demi-heure, parfois une heure.
– Le mécanisme que je viens de décrire faisait comprendre pourquoi le bruit courait dans le camp que le maximum de souffrances se situait dans la première période de la suspension et qu’il était préférable de s’agiter pour faciliter la dislocation. Pauvres conseils que chuchotaient des êtres misérables, que le régime imposé par les nazis avait ravalés à l’état des bêtes !
– On a décrit Bachmayer tel qu’il a été connu de 1942 à 1945, mais rien n’a été dit sur le Bachmayer des années 40-41. Bien sûr, ce fut toujours Bachmayer le sanguinaire, responsable de milliers de crimes. Cependant, en 1940-1941, il ne possédait pas encore l’ascendant ni l’autorité sur les propres S. S. qu’il réussit à imposer au fur et à mesure que son règne se prolongeait.
– En 1940-1941, seuls les Espagnols étaient le groupe important de déportés politiques, ennemis dangereux du III e Reich, à devoir être exterminés totalement par les travaux forcés et les tortures.
– Bachmayer possédait ses méthodes d’anéantissement, elles étaient étudiées, réfléchies, calculées ; son cerveau cherchait le raffinement dans la torture. Entendre sa voix, ou le voir arriver lentement sur un lieu de travail, donnait la chair de poule aux Espagnols, car ils savaient que sa présence allait être accompagnée de la mort… Lorsqu’il regardait avec ses yeux bleus, durs et sans pitié, il faisait penser à un fauve ou à un rapace. Il avait des gestes lents, comme pour mieux réfléchir aux moyens d’infliger ses tortures ; rien ne lui échappait. Parfois on réussissait à tromper la surveillance d’un « Kommandoführer » en restant quelques minutes inactif, la pelle à la main. Bachmayer ne se laissait jamais duper… Ses yeux d’aigle voyaient tout et il n’était pas rare de voir arriver un kapo pour administrer une correction à un prisonnier bien déterminé, le malheureux avait été vu par Bachmayer de son poste d’observation situé à deux cents mètres de distance. Il était sans pitié, rien ne l’émouvait. Des Espagnols ayant été blessés par les wagonnets, il ordonnait de les transporter à l’infirmerie du camp pour être soignés et qu’ils soient de retour au travail les blessures pansées. Le prisonnier reprenait le travail et quelques heures plus tard, Bachmayer ordonnait aux kapos d’exterminer le malheureux déporté qu’il avait fait soigner au « Revier » quelques heures auparavant… Le soir, lorsque nous étions alignés sur l’appelplatz pour nous compter, il surgissait silencieusement derrière une baraque, surveillant les rangs de prisonniers, attendant qu’un des hommes bouge ou change de position pour lui imposer une punition qui consistait à faire des exercices durant trois ou quatre heures…
– Sans doute, en raison de ses origines (il était cordonnier dans le civil), il haïssait et méprisait d’une manière particulière tout
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