Les 186 marches
déportés s’employaient à relever la route de 30 mètres pour remplacer celle qui allait disparaître (le barrage est terminé aujourd’hui). Quant aux sacs, nous en eûmes vite l’explication. Les S. S. nous conduisirent dans une baraque où onze pauvres cadavres de 35 kilos chacun nous attendaient. Le compte y était, onze sacs, onze cadavres, onze remplaçants. Les vivants chargeaient les morts dans le camion qui nous avait amenés de la gare au camp. Eh bien, ce bon copain optimiste, mon frère qui nous avait fait entrevoir une bonne vie de P. G., c’était toi, Maurice Lambert.
LES CHAMBRES A GAZ
AINSI donc, dans les années à venir – en attendant la publication de la première histoire complète et réelle du système concentrationnaire, qui reste à écrire – tout étudiant, français ou étranger, désireux d’entreprendre une approche de la déportation ou d’approfondir un aspect particulier du phénomène, « passerait » obligatoirement par les pages de « ce livre »… Je n’en croyais pas mes yeux en lisant et relisant les passages consacrés à la chambre à gaz du camp-mère de Mauthausen.
– « Ces affirmations (de l’existence de la chambre à gaz) nous paraissent de l’ordre du mythe. »
Quant à la conclusion :
– « Nous avons tenté de démontrer qu’il n’y avait pas de chambre à gaz à Mauthausen », elle me faisait douter (et je sais que je n’étais pas le seul) de la compétence et du sérieux de l’auteur – pourtant caparaçonné de diplômes – qui n’avait pas su voir dans l’enceinte même du camp les preuves matérielles de cette réalité historique, dans les sommiers et liasses d’archives, les textes pourtant probants, dans les déclarations et récits de survivants ou d’enquêteurs les informations qui, rapprochées ou opposées, conduiraient obligatoirement à une conclusion contraire.
« Ce livre » est une thèse de doctorat d’Etat. La première du genre. Et c’est avant tout pour cela que le problème est grave. Soutenue péremptoirement. Publiée par la suite en une fort élégante livraison, Le système concentrationnaire nazi d’Olga Wormser-Migot, malgré son audience confidentielle, éclatait aussitôt comme une bombe dans les milieux d’anciens déportés, parce que les déportés savaient que demain cette étude servirait d’ouvrage de référence à d’autres historiens, à d’autres écrivains et que leurs camarades, leurs amis qui avaient été assassinés dans la chambre à gaz de Mauthausen n’étaient plus là pour se défendre. Protestations, communiqués, articles polémiques, publication de « preuves », d’études complètes, n’ébranlèrent que faiblement l’auteur qui attendit 1973 (donc cinq ans) pour publier non pas un « rectificatif » – le moins que l’on pouvait espérer – mais un simple « additif », véritable sophisme :
– « A la suite de la parution, en 1968, de cette thèse sur le système concentrationnaire nazi, un seul point de contestation est apparu, relatif au problème des chambras à gaz.
– « En effet, dans la page 12 de l’introduction et de la page 541 à la page 544, j’affirme qu’il n’existait aucune chambre à gaz dans les camps de l’Ouest (sauf la chambre à gaz « expérimentale » du Struthof), les chambres à gaz, selon ma thèse, étant réservées à l’extermination massive dans les camps de l’Est.
– « Cette affirmation a donné lieu à des démentis catégoriques de la part des rescapés de Ravensbruck et de Mauthausen, pour lesquels l’existence des chambres à gaz dans ces camps ne peut et ne doit être mise en doute.
– « Je me sens donc tenue de porter ce fait à la connaissance des lecteurs de cette thèse. »
Cet « additif » est révélateur des mentalités, ou plus simplement des attitudes, de quelques rares universitaires – mandarins au comportement méprisant pour le témoignage. Il y a quelques années, j’écrivais dans la préface d’un livre consacré à Ravensbruck :
–… Milliers de témoins oubliés. Un seul témoignage est une approche du système concentrationnaire plus profonde qu’une thèse de mille pages (1), que des kilos de paperasses, de notes, de sigles, d’organigrammes, de listes, de statistiques… Ce jour-là, elle est morte en me confiant une épingle à cheveux, ce jour-là, elle a accouché pendant l’appel, ce jour-là, elle avait faim et elle a volé une
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