Les 186 marches
d’arme. Bachmayer avait loué une chasse dans les environs de Mauthausen, et tirait tout ce qui se présentait à lui. Il tirait de jeunes perdreaux, des cerfs, des chouettes, des oiseaux, etc. que les détenus empaillaient.
– On connaît l’origine du fusil de chasse. Lors de l’action de recherche entreprise pour retrouver les détenus de l’action « Kügle », qui avaient fui le block 20, un membre de la « jeunesse hitlérienne » avait été abattu. Peu après, un kommando de S. S. de la section politique arriva sur place et confisqua le fusil de chasse qui, paraît-il, avait appartenu au jeune homme. En outre, lors d’une partie de chasse qui eut lieu au début de l’année 1944, un enfant de douze ans qui portait la gibecière avait été tué par le S. S. Unterscharführer Hans Schartinger. Cette affaire fut étouffée de façon remarquable.
DÉPART POUR GROSS-RAMING
E n février ou début mars 1944, sur le convoi de cinq cents rayés arrivés à Mauthausen venant de Buchenwald, trois cent cinquante étaient malades (après trois jours et trois nuits dans les wagons-frigo par moins 10°et moins 15°) et dirigés vers le Revier.
Me voici avec plusieurs camarades, Léon Rouvrais, Jules Péreux, de Maupou, Perrin et d’autres, dans un block du fameux camp russe. Trois par châlit, les moins fatigués sur les étages supérieurs. C’était le cas de Léon Rouvrais de Montabard dans l’Orne.
Un matin, où il semblait régner une animation inusitée dans le block, j’entends « hurler », le mot n’est pas trop fort, « Rouvrais, Rouvrais ! ». Il était au-dessus de moi ; je lui dis : on t’appelle. Pas de réponse (c’est un Breton). Quelques minutes et de nouveau le même cri : « Rouvrais ! » J’insiste et je lui dis : « C’est sérieux, vas-y. » Il grogne en me disant qu’il n’a pas à bouger (il a toujours été partisan de la prudence : ni en tête, ni en queue) et que de toute façon on ne connaît que son matricule.
Plusieurs fois encore les hurlements : « Rouvrais, Rouvrais » se répètent : j’insiste auprès de lui. Il s’énerve et, excédé, me répond à peu près les cinq lettres ! Je ne suis pas convaincu pour autant et, après avoir demandé aux voisins français de droite et de gauche qui ne réagissent pas, je m’arrache de ma litière et trouve un Alsacien pour lui demander ce que les kapos avaient à s’acharner contre Rouvrais toutes les cinq minutes.
Et alors tout s’éclaire ! Chaque fois qu’un murmure se manifestait dans la baraque où nous étions six cents, c’était la même litanie : « Ruhe ! Ruhe ! » (prononcer : Rouais, rouais), l’orthographe n’est peut-être pas respectée (je ne suis pas doué pour les langues et encore moins pour l’allemand) mais la traduction est fidèle : Silence ! Silence ! en français. Et plus ils « gueulaient » silence ! et plus je criais pour essayer de convaincre mon ami Rouvrais de se décider enfin à répondre « présent ».
★ ★
Je revois toujours le grand Polak, chef de block, la gueule patibulaire passant par-dessus les morts et ceux qui, agonisants, déliraient ; comme le douanier de Fumoy, par exemple, qui était sur ma paillasse et qui, deux jours de suite, a déliré en appelant sa femme et sa fille (Maria, je crois me rappeler). Eh bien ! ce salaud le voyant encore remuer, lui décocha un grand coup de botte sur le crâne. Je me souviens aussi quand nous sommes remontés au camp. L’appel par kommando désignait onze Français pour partir à Gross-Raming. Parmi nous il y avait un bon copain. Il était optimiste. Voici sa conversation :
– « Les gars, je crois que nous allons dans un bon kommando, je crois même que nous allons travailler dans une ferme ! »
Les autres le questionnent :
– « Qui, où, quoi te fait dire cela ? » Réponse : « Mais, voyons, réfléchissez. Ils nous ont donné des sacs en papier qui ressemblent à des sacs de couchage que l’on devra remplir de foin ou de paille. » Les réflexes étaient limités en ce temps-là. Nous partions donc le 16 mars 1944 de Mauthausen pour Gross-Raming et, vers 11 heures du soir, en pleine nuit d’hiver, à 1 000 mètres d’altitude, nous découvrîmes un paysage d’apocalypse. La « ferme » était un immense chantier de construction de barrage sur l’Enns, affluent du Danube. Projecteurs, marteaux-piqueurs, bétonnières. Dans un bruit assourdissant des
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