Les amants de Brignais
négociations avec le maréchal, et pour préserver des vies des deux côtés, Pacimbourg a pu s’en aller vendredi avec ses gars et leur butin.
– Dans l’honneur, en somme ! releva Tristan. Et sans doute l’as-tu amené au Mont-Rond avec sa petite armée ?
– Non… Ils sont restés dans la forêt de Sauges… Ils nous seraient précieux, je te l’accorde, si Tancarville, Bourbon et l’armée royale venaient à Brignais… Je peux bien te le dire, puisque tu ne peux t’enfuir et nous préjudicier : si nous apercevons l’engeance du roi de France, le Petit-Meschin galopera vers Sauges et nous amènera c es renforts… Je pense qu’avant même de voir arriver l’ost royal, nous serons prévenus de sa venue par nos espies de Lyon et d’ailleurs, ainsi que par les guetteurs que j’ai apostés partout…
– Pourquoi me dis-tu tout cela ? Je ne suis ni ton complice ni ton confident… encore moins ton admirateur !
Bagerant remua ses bras aux cubitières lourdes et coniques, et posa son bassinet sur la table tandis que Tristan imaginait une charge de chevalerie lancée, dans une formidable tambourinement des sabots, sur la plaine de Sacuny .
– Je ne te dis pas cela pour tu ne t’abuses pas… L’armée des Justes peut venir : nous faisons et ferons tout pour la déconfire.
– Je n’en doute pas. Si bataille il doit y avoir, je plains ceux qui périront, ceux qui perdront un membre… ou deux… Je plains jusqu’aux chevaux victimes des guisarmes et qui mourront dans un effroi auquel tu n’as jamais songé.
À nouveau l’inquiétude empoigna Tristan. Puis une croyance folle chassa les miasmes de la désespérance. Tiercelet avait plaidé victorieusement sa cause. Il revenait. Il chevauchait un des roncins que Thoumelin de Castelreng avait échangés contre les deux siens. Bagerant sourit. On eût dit, précisément, un cheval rongeant son mors.
– Le brèche-dent revient… Rieur ou maussade ?
Voilà qu’ils avaient eu la même pensée. Une menace diffuse les titillait de façon différente. Avec, sans doute, la même acuité.
– Attendons.
Tristan se tourna vers Oriabel. Dans la douceur mais aussi dans l’expectation où ses pensées et ses souhaits s’égaraient, elle incarnait tout à la fois la féminité, l’amour et la confiance. Elle apportait une certitude à cette attente : si Tiercelet revenait les mains vides, son esprit ingénieux apprêterait quelques astuces qui vaudraient leur pesant d’or.
– Voilà, dit Bagerant.
Et sans un mot de plus, après avoir saisi son bassinet, il s’en alla, le front bas, son épée heurtant à grand bruit le fer boueux de sa jambe.
Oriabel verrouilla la porte et, contournant le lit, s’approcha d’une archère. On y voyait une forêt que le Garon coupait droitement de son mince fil d’eau claire. Ils avaient entendu parfois, de ce côté, des chants de femmes et des roulades de tambourins sans jamais entrevoir quiconque à travers les feuillages. Des ribaudes devaient vivre là. Et des captives « converties ».
– Parfois, je crains que ce château lui-même ne nous retienne dans ses pierres… Je me disais cela aussi à Montaigny… Comment est fait le tien ?
– Comme un petit morceau de Carcassonne.
– J’aimerais le voir.
Elle s’était gardée de dire qu’elle eût aimé y vivre, avec un petit soupir et des clignements d’yeux – comme Aliénor autrefois. Sa condition de manante lui avait interdit les grands desseins. Occupée aux inconvénients et soins du ménage avec sa mère tandis que ses sœurs aînées œuvraient chez un tisserand et que ses frères aidaient leur père au charronnage, « tout près de la halle aux grains », son enfance infiniment plate avait fait d’elle une jouvencelle un peu morne, soumise, que de longues songeries entraînaient vers des châtelets ceints de hautes tours qui, de loin, semblaient des cierges coiffés d’or. Dans leurs cours pavées de marbres miroitants, une haquenée à la robe immaculée l’attendait pour la conduire au galop vers « un grand bonheur ». Tristan sourit. Peut-être, dans cette imaginaire félicité, incarnait-il pour elle Tristan de Léonois au lieu que d’être tout simplement Castelreng.
– Tu verras ce château, mais nous aurons le nôtre…
C’était bien marmouserie que d’affirmer cela. Surtout dans l’état où ils se trouvaient.
– Je me contenterais d’une chambre… si tu la partageais avec
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