Les amants de Brignais
moi.
D’un bras, il ceignit la taille d’Oriabel, humant l’odeur de ses cheveux tandis que sa main libre la cherchait et découvrait sous sa robe. Il sentit sur sa joue cette veine qui se gonflait à son cou de lis, et qui battait, battait dès les premiers émois de ses sens.
– Tu veux que… dit-elle en reculant vers le lit.
Bien sûr, elle pouvait lui donner davantage, mais la venue de Bagerant avait instillé dans leur intimité quelques gouttes d’un poison dont il ne se guérissait pas.
– Attendons… Tout cela n’en sera que meilleur.
Il marcha jusqu’à une archère : celle par laquelle on apercevait le Bois-Goyet, le Mont-Rond et le chemin dodelinant vers Saint-Genis.
– Jamais ils n’apparaîtront par ce côté… Mais viendront-ils seulement par un autre ?… Et s’ils viennent, devons-nous penser que ce sera une bonne chose pour nous ?
Oriabel ne dit mot. Il se trouva morose, pesant, et constatant cela, il prit conscience qu’il ne s’était pas exercé au maniement d’armes depuis sa capture par les hommes de dame Darnichot. Faisant jouer son épaule touchée dans la forêt de Cravant, il fût heureux de la sentir souple, solide, prête à tous les mouvements, donc à toutes les violences.
Il empoigna, au chevet du lit, la Floberge qu’il tira de son fourreau.
– Bon sang ! dit-il en voyant quelques taches rousses à l’extrémité de la lame. Elle commence à s’enrugnir (251) .
Il ne sut s’il devait en rire. Oriabel, sans doute, également.
– J’ai vergogne d’avoir négligé ma compagne.
Il baisa la croisette de son épée avec une ferveur qui n’était pas feinte, et bien que la chambre offrit un espace restreint pour ces sortes d’exercices, il se mit à frapper le vide, à le pourfendre et l’estoquer cependant qu’Oriabel, prudente, se réfugiait dans les draps.
– Tu te bats contre qui ? dit-elle sans sourire.
– Héliot… Je sais que je devrai faire armes contre lui.
Qu’ajouter ? Rien. Maintes fois par jour, désormais, il s’astreindrait à manier sa lame. À répéter tous les mouvements qui lui épargneraient des coups et lui permettraient d’en fournir jusqu’à ce que l’un d’eux, foudroyant et irrésistible, atteignît où que ce fût son adversaire. Souvent, face à Bagerant et à son infernal suppôt, il s’était roidi corps et âme afin de conserver intacte sa faculté de se dominer. Il changerait. Aux passions fermement domptées de l’esprit, il substituerait la forcennerie. À la violence, il opposerait la violence et aux affronts l’audace. Il ne lui suffisait plus d’être impassible. Un besoin d’action – et d’action sanglante – le démangeait.
– Il faut que j’occise Héliot. Sa mort sera pour moi comme une guérison. C’est ainsi que j’obtiendrai de Bagerant un respect… définitif.
Il saisit son épée par la prise et le milieu de la lame. Il l’éleva à bout de bras, l’abaissa devant sa poitrine et récidiva encore et encore jusqu’à ce que son sang s’échauffât d’une ardeur belliqueuse, jusqu’à ce que les charnières de ses coudes et de ses épaules lui fissent mal ainsi que ses biceps. Alors, il s’approcha de l’archère au-delà de laquelle Oriabel aimait à regarder la campagne.
– Les prés sont vides, dit-il. Désespérément vides.
Sous le coup d’une mélancolie aussi subite qu’inattendue, la chanson d’un trouvère, Jean l’Anselme, lui vint aux lèvres :
Me dois de partir à la guerre
En te laissant,
Pour y affronter l’Angleterre,
Suis tout dolent.
Baille-moi l’arme de mon père,
D’acier tranchant,
Sera ma garde en la croisière (252) ;
En la prenant,
Baise-la et que ta prière,
Ainsi qu’un chant…
Il entendit un sanglot et s’interrompit.
– Non, dit-il en se retournant. Non !… Tu pleures !… Voilà l’effet de cette chanson… Tu veux donc que je sois malheureux d’avoir provoqué ta peine ?
Il posa sur le lit sa Floberge et prit les mains d’Oriabel dans les siennes. Elle pleurait toujours, tout amollie de chagrin, contre cette poitrine où, la nuit, elle se préservait du froid et des mauvais rêves.
– Sois quiète… Il te faut, il nous faut avoir du courage.
Elle n’en était point dépourvue, mais inopinément celui-ci lui avait fait défaut. Il but ses larmes. Ils restèrent muets, enlacés, enveloppés d’une même anxiété et pénétrés du même doute sur la qualité, la solidité de leur
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