Les amants de Brignais
regardant les hanches de la jouvencelle osciller comme lors d’une danse. « Jusqu’où ce renié 71 va-t-il pousser son avantage ? » Il fût heureux de retrouver Tiercelet et de voir qu’il n’appréciait aucunement le cérémonial que le rou tier venait d’exiger d’un ton plaisant, mais sans recours. Le brèche-dent le toucha du coude, lui enjoignant ainsi de digérer sa déception et de redoubler de vigilance. Devant eux, divisés en deux groupes afin de libérer un passage médian, quarante ou cinquante malandrins atten daient, qui ne pouvaient être que des subalternes ; dans la cour, c’était le grand brouillis (259) de la basse crapule. Il y avait des hommes au sommet du donjon, sur les tours encore accessibles et sur toutes les longueurs des courtines. Tristan sentit son épée lui peser ainsi que le bassinet qu’il serrait contre sa hanche. Il passa sa paume dextre écaillée de fer sur ses joues. Oriabel l’avait rasé ensuite de leurs ablutions vigoureuses. L’eau était glacée, mais suffisante. Maintenant, ils trempaient leurs corps dans une foule immonde qui, pour peu que l’envie de viol vînt à un seul ribaud, les engloutirait comme un raz de marée.
« Un tour ! Bagerant nous impose un tour de cour complet !… On nous presse !… Tous ces souffles, ces puanteurs de charognes ! »
Ils revinrent dans la chapelle et devant eux l’on s’écarta davantage, surtout par déférence envers un capitaine. L’autel avait pour parure une brassée de chardons rouillés par l’hiver et quelques feuilles de frêne, le tout enfoncé dans un tonnelet. Angilbert, qui procédait à leur arrangement, se détourna et s’avança :
– Lâche Bagerant, ma fille, dit-il à Oriabel. Castelreng, renonce à cet air hargneux. Je n’ai pas de celebret m’autorisant à dire la messe en tout lieu, et il y a belle lurette que je ne l’ai pas dite… Dieu me pardonnera si je commets quelques fautes…
Des rumeurs et bruits de sabots couvrirent le reste de la phrase. Tristan devina Jean Aymery, Garde du Châtel, Thillebort et quelques autres à cheval, le regard plus volontiers posé sur Oriabel que sur sa personne, il sentit Tiercelet se placer derrière lui pour le protéger de son corps.
– Commençons, dit Angilbert. Faites honneur au Rédempteur, mes enfants !
Il y avait, au-dessus de l’autel, le Christ manchot entrevu dans la grand-salle du Mont-Rond. Sans flèches ni poignards dans le corps ; cloué sur une croix composée de deux branches. Oriabel fit une génuflexion, Tristan l’imita, éprouvant du même coup la souplesse de ses genouillères.
– Bien ! fît Angilbert, qui parut hésiter à poursuivre, comme si la mémoire lui manquait.
Il alla et vint devant l’autel, occultant sur son passage le ciboire, la patène et jusqu’à la peau de truie dans laquelle la Sainte Bible était enfermée – s’il s’agissait toutefois du Sacré Livre, car Tristan lui trouva l’apparence d’un morceau de chevron.
– Attendu, mon fils, que tu es sans fortune et Oriabel également, je ne ferai pas de lecture solennelle du contrat de douaire ou de constitution de dot… En outre, constatant votre indigence en dépit de vos vêtements princiers, j’annonce qu’il n’y aura pas de distribution de gros sous à la sortie de cette messe !
Il y eut, poussé par l’assistance, un hurlement de déception et de fureur puis des rires et des huées, un tumulte de bataille quand tous ces hommes firent tinter leur épée ou leur couteau soit contre leur cuissot, soit contre leur barbute. Contrevenant à ce qu’il avait résolu, Tristan se retourna et vit d’un coup d’œil Thillebort, maussade, à cheval, les bras croisés sur sa poitrine de fer, Thomas de Nadaillac, sa tête de mort coiffée d’un chaperon rouge, Jean Aymery, hilare, l’épée au clair.
– Nonobstant ces faits, poursuivit Angilbert quand le silence fut revenu, je vous unirai avec joie, car ce sera le premier mariage que…
– Hâte-toi ! hurla Thillebort. L’envie de chier me prend et je ne peux pas lâcher ça sur ma selle !
Angilbert eut une moue désolée. Tiercelet fit un pas et ouvrit sa dextre :
– Les anneaux.
D’où les tenait-il ? Déjà le presbytérien s’en était saisi et glissait le plus petit à l’annulaire d’Oriabel en marmonnant des mots que Tristan ne comprit pas et qui peut-être n’existaient que dans la langue de la truanderie. Derrière lui, derrière eux, on
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