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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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perdu la Religion, il venait d’adopter l’onctuosité, la démarche, les gestes larges et solennels des presbytériens à l’office. Il n’avait qu’une foi, une divinité : la Puis sance. Rejeter ce témoignage de fausse amitié sous n’importe quel prétexte, c’était lui déplaire, et lui déplaire, c’était encourir sa rigueur.
    – Soit, dit Tristan. Après tout, jusqu’au dimanche 10, nous ne sommes pas maîtres de notre destinée.
    Cette observation fut sans effet. Elle impliquait pourtant que, passé midi de ce dimanche essentiel, ils jouiraient, Oriabel et lui, d’une liberté complète.
    « Ce coquin machine lui aussi quelque chose. Veut-il m’occire pour profiter d’Oriabel ? Il l’a dépréciée, maintenant, il l’admire ! »
    Bagerant lui sortait des yeux comme une statue sortait de la pierre. Plus il le maudissait et le craignait, plus le routier prenait du relief. Son immobilité soudaine lui donnait, dans l’ombre où il venait de s’arrêter, un caractère surnaturel : il était le mal incarné ; une énigme vivante et maléficieuse.
    – Nous vous marions tantôt 1 (256) … Viens, Tiercelet… Et vous deux, suivez-nous.
    Avant de franchir le seuil, Tristan prit soin d’empoigner sa Floberge.
    – Tiens, remarqua Oriabel tandis qu’il bouclait sa ceinture d’armes, nous n’avions pas de regard 68 .
    – Tout de même pas un si beau jour ! dit Bagerant.
    Ils descendirent l’escalier. Dehors, le soleil les saisit dans ses mille mains jaunes et leur réchauffa le sang, le ciel, d’un bleu léger, moutonnait. On subissait, à se sentir dessous après tant de jours passés sous les arceaux de pierre, une impression d’aisance infinie. L’ombre elle-même avait une douceur, un moelleux plein d’un charme revigorant. Angilbert, qui marchait à grands pas dans la cour, lâcha sa cordelière : le crucifix qu’il tourniquait lui heurta un genou.
    –  Oh ! grimaça-t-il, comme je suis bien aise de vous revoir.
    – Tu aurais pu, moine, reprocha Tiercelet, leur porter tout là-haut le réconfort de la bonne parole, plutôt que de te soûler la goule !
    – La chapelle sera pleine, annonça Bagerant. Le château n’aura jamais reçu tant de beau monde… Ne me regardez pas tous ainsi !… La Chevalerie, l’écuyerie, l’archerie, les frondeurs et toute la piétaille assisteront à cette union peu commune d’un preux et d’une bachelette… il est vrai valeureuse !
    La méfiance éclata en Tristan comme une sonnerie de trompettes :
    – Et si je récusais tes invités ?
    – Tu parles net, mais ta voix et ton cœur sont déjà résignés.
    À quoi bon répondre. C’eût été se rabaisser.
    – C’est moi qui, ce jeudi, détiens le commandement suprême, crut opportun d’ajouter Bagerant tout en quêtant la caution de Tiercelet qui préféra suivre le vol d’un pigeon, et celle d’Angilbert qui la lui fourni à grands coups de tonsure. Tu es mon obligé, Tristan de Castelreng, et cela pendant dix jours encore. Je ne sais pas lire mais je sais compter jusqu’à dix et même au-delà : jusqu’à cinq cents… et mille, si je me fais bien comprendre… Nous ferons en sorte que tu te souviennes de ton mariage… et toi aussi, Oriabel !
    Tous les chefs des compagnies réunies à Brignais vivaient dans une émulation continuelle. Leurs orgueils s’affrontaient autant lors des batailles qu’au cours des festivités qui les en délassaient. La fierté de Bagerant exigeait qu’il puisât aux abîmes d’une imagination sans cesse sollicitée, mais riche encore de nouveautés luxurieuses, quelques « joyaux » susceptibles d’éblouir ses compagnons.
    Oriabel avait compris. Son regard vif signifia : « N’aie crainte, je serai forte. » Tristan n’en fut guère apaisé.
    – Tu ne peux épouser ta donzelle dans l’état où tu es, et elle ne peut porter cette robe piteuse. J’ai demandé qu’on te prépare une armure et que la mariée ait du beau linge à sa disposition… Non, ne refuse pas : c’est une sommation à laquelle il vous faut dire amen !… Pas vrai, vous deux ?
    Tiercelet grommela : « En effet ! En effet ! » et Angilbert en fit autant.
    Ils étaient parvenus au seuil de la chapelle. Jetant un regard par la haute porte déclose, Tristan vit la nef vide et s’en montra surpris.
    – Tous les sièges ont servi à cuire la pitance, expliqua le moine d’une voix contrite. J’ai prié, prié pour que Dieu leur

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