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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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délivrer de ces « remords vivants ».
    – La Providence nous fut contraire, dit-il. Elle nous reviendra !
    – Que de lieues parcourues ! gémit Angilbert le Brugeois, le regard levé, inquiet, comme s’il s’apercevait soudain de la lourdeur des poutres alignées au-dessus de lui. Je vague à pied et à cheval depuis sept ans, de compagnie en compagnie… Pensez : en août 57, j’étais chapelain d’une petite route établie dans l’île de Camargue, vis-à-vis du château de Lamotte !
    – Avec Arnaud de Cervole ! tonna Béraut de Bar tan, la face aussi vermeille que son pourpoint de velours.
    – Non ! protesta le tonsuré. Quand ses hommes et les miens ont fait alliance, je suis parti (266) . Cet Archiprêtre m’effraie !
    On rit. Tristan trouva qu’on s’y contraignait. Une discussion jaillit à propos du comte de Poitiers que le dauphin, régent de France, avait envoyé à Nîmes (267) et qui avait été accueilli fort mal par le sénéchal de cette cité, Hugues d’Ademar.
    – Ces Valois ! soupira bruyamment Jean Aymery. Rien ne les différencie des gens que nous sommes : à peine le gentil comte avait-il mis pied à terre qu’il tendit la main, exigeant des écus !… Et à peine en eut-il reçu qu’il engagea une partie des Compagnies et les fit entrer dans Nîmes… jusqu’à ce qu’on les en chasse (268) .
    – Tu le connais, toi, le comte de Poitiers ?
    Tristan soutint le regard de Thillebort, un regard d’autant plus aigu qu’il émanait d’un œil unique, noir, dédaigneux.
    – Je l’ai aperçu en chevauchant à la poursuite des Anglais… Oui, je l’ai suivi ou précédé jusqu’à Maupertuis.
    Un grognement, et ce fut tout ; mais au loin, cessant de trancher le râble du mouton, Héliot exprima les sentiments du borgne :
    – Tous ces gens de l’armée royale !… Ils ne doivent guère être fameux en champ clos pour s’être fait déshonorer lors de cette bataille !
    – Ne t’avise jamais, Héliot, de savoir comment je tiens une arme… Tu l’apprendrais aux dépens de tes jours !
    Sans plus faire aucun cas de l’écuyer, Tristan observa les convives. Les grands chefs échangeaient de-ci de-là quelques mots à mi-voix. Peut-être se concertaient -ils pour savoir s’il convenait d’envenimer ce tençon 73 ou s’il importait de l’apaiser provisoirement afin de jouir, plus tard, d’un affrontement à outrance. Aymery s’ébaudit ; tous en firent autant sauf Angilbert le Brugeois qui, à l’intention du marié, effleura sa bure d’un bref signe de croix.
    –  Benedictus Dominus meus qui docet manus…
    –… meas adpraelium et digitos meos ad bellum, acheva Tristan.
    Il s’était penché ; il se remit lourdement d’aplomb sur son siège : un baril posé de chant, vide de vin ou de cervoise. Aymery demanda :
    – Qu’as-tu dit, moine ?… Et toi aussi, le novice ?
    – Béni soit Dieu qui forme mes mains au combat et mes bras à la guerre, répondit Tristan, placide.
    – Etais-tu un porteur de froc ? ricana Thillebort, son œil fauve dardé sur le marié. L’as-tu jeté aux orties ?
    Tristan se tourna vers Bagerant et crut lire, dans son regard, une incitation à la réplique.
    – Si tu pouvais, toi, jeter ta sale goule aux orties, ma vue, crois-moi, s’en trouverait soulagée !
    Le borgne voulut se lever ; un geste d’Aymery le cloua sur son banc. Nul n’avait ri ni protesté. Tristan examina chacun des festoyeurs d’un large et discret mouvement des pupilles : de toute évidence, la plupart approuvaient sa repartie, donc ils devaient mépriser Thillebort. Sous le nid d’ombre où elle brasillait, l’unique prunelle lança une flamme mouillée.
    « Il pleure de rage, ce démon ! »
    Soudainement Tristan s’aperçut d’une absence :
    « Où est passé le Petit-Meschin ? Je ne l’ai pas vu depuis… Depuis quand ?… Ce matin ?… Hier était-il parmi nous ? »
    Il sentit le genou d’Oriabel tapoter le sien et devina qu’elle s’apeurait et l’adjurait de se taire. Il y eut un moment de curieuse attente mais, contrairement à ce que ses pairs espéraient, Thillebort jeta un os derrière lui, et ce geste-là signifiait surtout qu’il se moquait d’une affaire dont Angilbert s’empressait de dissiper les séquelles : il n’irait pas au-delà de Brignais, déclara-t-il. Jamais il n’avait eu à sa disposition une chapelle aussi vaste que celle des moines de Saint-Just :
    – Il est juste,

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