Les amants de Brignais
Figurez-vous, tous deux, que ce troupeau où il y a des porcs me paraît être le vôtre.
Tristan avait atteint ses limites, mais plutôt que d’offenser Bagerant, il en obtenait un rire qui, cette fois, exprimait de l’admiration. Autour d’eux la nuit se peuplait de flambeaux.
– Avez-vous fini de paroler ? hurla Thillebort. On se refroidit !
Tristan eut un signe de la main négatif, et poursuivit :
– Tu pratiques, Naudon, la religion du mal, et cependant, il y a en toi quelque chose de clair que je ne saurais nommer… Je me demande de qui ou quoi tu es l’esclave. De ton corps ou de ton esprit ? Tu te distingues de la crapule par ta répulsion devant l’horribleté toute crue… Je t’ai vu rire et gloser sur ce que contenait le plateau, mais tu ne le regardais pas ! Et ce jeu cruel, maintenant, tu n’y prendras point part… Ton cœur en réprouve le cérémonial… Mais voilà : tu t’oserais t’en faire l’aveu !
J’y ai joué. C’est un amusement de chrétiens.
– Il y a des chrétiens pires que les païens. Parmi tous les coquins assemblés à Brignais, presque tous, sinon tous, ont reçu le baptême.
Héliot, Espiote, Thillebort, Bertuchin et Hazenorgue étaient à cheval, leur hampe de frêne appuyée sur l’épaule. Tristan pointa un doigt vers eux.
– Quelque chose brille… Ces épieux sont ferrés comme pour une chasse au sanglier ! Est-ce ton idée, Naudon ?
– Non ! se défendit âprement Bagerant.
– Ces hampes, affirma placidement Aymery, n’ont qu’un rochet 81 à leur bout.
– Vos compères ne se contenteront pas de frapper, vous les avez armés pour qu’ils puissent occire !
Un cheval hennit ; un autre sabota violemment. C’étaient ceux de Thillebort et d’Héliot qui hurla :
– Commençons-nous ?
– Bientôt, dit Bagerant avec une sorte de lassitude. J’avais prévu, Castelreng, et Héliot aussi, que tu t’instituerais le défenseur des dames !
Il hurla :
– Compères !… Castelreng essaiera de protéger les femelles et les porcs !
D’un pas vif, il rejoignit Aymery, qui s’impatientait Sitôt qu’il eut entendu ce qui pouvait être un conseil l’Anglais hurla ainsi qu’un héraut d’armes :
– Oyez ! Oyez ! Oyez !… Il va y avoir là six femmes et six cochons. Les femmes devront se saisir desdits cochons et les remettre dans la cage où ils vont être amenés. Toute femme qui en tiendra un cessera d’être bâtonnée… sauf si sa prise lui échappe, car ces cochons sont oints de saindoux !… Nos effrontées seront empêchées dans leur quête par vous, messires, et par vos chevaux qui pourront sans fauter contrarier leur course… Vous relèverez celles qui tomberont à grands coups de frêne sur le cul !… Je répète que Tristan de Castelreng, refusant d’être des vôtres, est affecté à la protection des dames et des porcs !
Il y eut un silence. Héliot lui-même ne riait pas. Aymery, qui balançait entre l’admiration et la colère, interpella l’insensé :
– Sang Dieu ! Tu viens de te marier ; une belle nuit t’attend et tu vas follement t’opposer à la fureur de mes amis !… Tu en endommageras, certes, mais tu finiras par avoir le dessous et les femmes paieront pour ton outrecuidance !
– Tes amis, Aymery, sauf Héliot, sont trop saouls : ils videront les étriers sur une simple chiquenaude.
Tristan dévisageait l’Anglais presque nez à nez, sans reculer malgré le souffle aviné qu’il recevait à la face. Les yeux du Tard-Venu reflétaient les lueurs vivaces des flambeaux : il semblait que les pensées qui lui échappaient par la vue fussent teintées de sang.
– Hâte-toi, Castelreng, d’enfourcher ton cheval. Tu aurais dû penser à enfourcher ta femme… Bientôt, cela te sera impossible !
Cette moquerie ne suscita aucun rire. Tristan rejoignit Oriabel. Avant même qu’elle eût parlé, il l’étreignit très fort :
– N’aie crainte. Après cela, ils sauront qui je suis.
Tiercelet posa sa dextre sur l’épaule d’Oriabel :
– Tu es fou, mais je prie le Très-haut qu’il te garde.
– C’est un fou, approuva Jean Doublet. Et plus bas. Assomme-les ! Envoie un ou deux de ces infars en enfer : l’air céans sera plus respirable !
Aymery réunit ses mains gantées de fer en cornet pour clamer :
– Les cochons d’abord, les femmes ensuite !… Qu’on se hâte !
Un portillon s’ouvrit sur de la clarté et des
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