Les amants de Brignais
droit de prise et de fornication :
– Quand j’aurai vaincu ce huron, elle sera mienne !… Juste le temps d’essuyer ma sueur et le sang qui souillera ma hache !
– C’est un suaire qu’il te faudra, Héliot, nullement une serviette !… Je vais, malgré ton fer, te couper de partout. Tu as beau être, à l’occasion, un écuyer tranchant, c’est moi qui vais te démembrer !
– Tu n’as pas ton bassinet. Je t’essorillerai. Nau don me prête le sien et te ferai saigner comme un fut mis en perce avant de te décoller !
Sa présomption ainsi déclarée n’empêchait pas la peur de dévorer le malandrin aux entrailles. Tourné vers Bagerant, il rendit responsables de son humiliation présente, face à Castelreng, certains chevaliers et capitaines qui restaient cois et semblaient lui « détacher l’amitié ».
– J’ai sur elle des droits formels ! enragea-t-il en désignant du doigt la captive éplorée, à croupetons dans le chambranle de la porte. J’élève sur elle des prétentions qu’aucun de vous ne peut avoir, et je vais les soutenir devant Castelreng et devant tous ceux qui voudront contrarier mes desseins !
– Voilà les haches ! dit Bagerant.
Daalain revenait, une arme sur chaque épaule.
– Chacune, dit-il, pèse au moins dix livres (285) .
Tristan vit qu’il s’agissait de doloires, ces armes dont le fer évoquait un croissant de lune. Il y en avait trois à Castelreng ; il les avait maniées très jeune. Le manche court exigeait un combat rapproché, des reculades et des feintes rapides. À la lueur d’un flambeau tenu par Garcie du Châtel, les chefs examinaient les fers et les manches.
– Croyez-vous que cela vaille la peine que je vous tue un homme, fût-il un méchant goguelu comme Héliot ?
– Car tu es certain de l’occire ? s’étonna Bagerant, moqueur.
– Dieu soutiendra mon bras… Entre Dieu et Satan, comment pourrais-je douter de la victoire ?
– Si nous restions dans cette enceinte, nous serions trop peu à voir cela… Il faut que ce combat ait lieu au-dehors, devant tous les hommes… N’est-ce pas, compagnons ?
– C’est une bonne idée ! approuva Aymery… Quittons cette cour… Nadaillac, trouve un paletoc 84 , une houppelande et fais en sorte que cette noble dame soit couverte… Il faut qu’elle assiste à cela parmi nous… Non, Castelreng, reste auprès de moi… Point de baisers, de serments, de recommandations à ta belle. D’ailleurs, elle ne craint rien : Tiercelet la conforte !
Tristan regarda, le visage penché. C’était vrai : Tiercelet tenait Oriabel par l’épaule ; il en fut satisfait. Cessant de marcher, croisant les bras, il défia le routier du regard avant de rejoindre son épouse et le brèche-dent qui ne changea rien à son geste protecteur.
– Tu as le don, Tristan, d’envenimer les choses.
– Tu es fou ! reprocha Oriabel tandis qu’il la pre nait dans ses bras. Depuis que je te connais, tu ne cesses de faire en sorte qu’ils te haïssent… Crois-tu que cette Mathilde en vaille la peine ?
Il se sépara d’elle de la largeur d’une main afin de la contempler autant qu’il était possible :
– Tu en parles comme si tu la connaissais.
Elle baissa les paupières. Son visage renversé dans l’attente d’un baiser qui ne venait pas restait étrange, insondable. La lumière crue des flammes toutes proches ruisselait sur son front comme une pluie d’eau de rose et rendait plus pâles et plus nacrées à la fois les deux perles de chagrin suspendues à ses cils. Elle s’en libéra en cillant des paupières :
– Je plains cette femme… et les cinq autres aussi alors que tu parais en faire peu de cas… Peut-être – qui sait ? – méritent-elles plus d’intérêt.
Même si elle éprouvait quelque compassion pour Mathilde et sa malaventure, il était évident qu’Oriabel détestait cette prisonnière. Pourquoi ? Avant que de la questionner, Tristan plaida :
– Si je pouvais les secourir toutes, tu sais bien que je le ferais !
Tiercelet s’approcha :
– Baisez-vous un bon coup, puis séparez-vous. C’est marmouserie que de parler comme vous le faites !
Il avait raison. Gêné dans son effusion, plein de rancœur et d’incertitude, Tristan appuya doucement ses lèvres sur celles de cette épouse qui pouvait être sa veuve bien avant l’aube. La douceur de cette étreinte lors de laquelle il lui semblait se vivifier mécontenta Tiercelet, qui
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