Les amants de Brignais
hâte avaient conservé quelques moignons tordus. Au-delà, jusqu’au pied de la butte, ces murailles de volards et fagots semblaient des obstacles minimes et les fossés profonds, des rigoles. Les routiers s’étaient attroupés en quatre bataillons d’épaisseurs diverses, les archers en retrait, les frondeurs devant, tous armés d’un poignard, tandis que sur leurs ailes se tenaient les porteurs d’armes d’hast pour percer les chevaux tout autant que les hommes. Mais Bourbon, Tancarville ou ceux qui décidaient en leur absence disposaient-ils encore d’une : cavalerie ? « Certes non », convint amèrement Tristan. Il ne pouvait songer qu’aux vols de flèches, aux grêles de pierres, aux frappements des armes et aux estocades des vouges, guisarmes, langues de bœuf, si toutefois les Justes envahissaient la butte. Il y avait, proches du château et des maisons, et pour en défendre l’accès, une trentaine de charrettes et chariots renversés derrière lesquels veillaient des hommes d’armes. Il pouvait voir également aux créneaux, les barbutes des arbalétriers. À la guette du donjon flottait une bannière de sable et d’argent… Ce donjon où, s’ils y étaient encore, Oriabel et Tiercelet s’interrogeaient aussi bien sur leur sort que sur le sien.
Qui commanderait à Brignais si les forcenés de l’armée royale en bouteculaient les premières défenses ? Quels truands accourraient au combat ? Garcie du Châtel, Jean Aymery, Breteuil, Espiote, Daalain et bien d’autres férissaient, en bas, l’adversaire ; Thillebort était revenu indemne de la mêlée ainsi que le Bâtard de Monsac. Quelques-uns – Pierre de Montaut, Jean Hazanorgue et Jean Doublet – observaient, du milieu de la motte, les péripéties d’un affrontement où l’offensive des Justes, peu à peu regroupés, aboutirait au Mont-Rond pour, sans doute, s’y convertir en débandade. Présentement, tous les routiers inutilisés dans la bataille demeuraient l’arme au pied ou à la main, et certains frondeurs impatients d’élinguer (321) moulinaient leur poche de cuir vide en riant de pouvoir l’employer bientôt.
– Je crois, dit Bagerant, que Bourbon est occis… Nous verrions sa bannière… Et Tancarville également comme grand’foison d’autres !… Dis-moi : n’est-ce pas commettre une énorme faute que d’avoir aposté si peu de gardes, la nuit ? D’avoir négligé la pose des sonnailles ?… Nul n’aurait dû dormir en se sachant si près de nous !… Si j’étais roi, je destituerais tous ces malencontreux qui se sont pris pour des chefs et qui n’ont pas plus d’esprit que les singes ! Mais dans ce royaume pourri…
– Par vous, interrompit Tristan.
–… on congratule les bons et les mauvais tout aussi pareillement… Aussi vrai que je suis près de toi, je ne plains pas la grevance 104 des chevaliers et des seigneurs qui sont là, devant nous, mais celle des gens du commun…
– Allons donc ! Il leur importe davantage qu’aux seigneurs de mettre votre engeance en péril, en exil, parce qu’ils ont le plus à s’en plaindre !
Comme aucun d’eux n’osait dévisager l’autre, leurs yeux s’abaissèrent, et bientôt la bataille obtint leur attention.
Les hurlements, inchangés, couvraient l’incessant cliquetis des armes dont l’acier rutilait parfois de bout en bout. Çà et là, des arbres, des arbrisseaux retenaient des hommes juste le temps qu’ils en fissent le tour pour se férir plus violemment. Dix ou douze chevaux se cabraient, ruaient, piaffaient parmi cette masse de guerriers qui, dans le miroitement de leurs fers maculés de sang, avançaient et reculaient tout à la fois vers le Mont-Rond et le Bois-Goyet dont le sommet se couronnait de malandrins.
– Je ne saurais te dire, Sang-Bouillant, où sont le Petit-Meschin, Aymery et les autres… Regarde l’ombre de notre corps à nos pieds : presque rien, il n’est pas loin de midi… Je dois t’avouer que j’ai plaisance à ouïr tous ces grondements et à voir tout ce monde emmêlé comme lors d’une assemblée de famille… Il ne manque que nous. Viens : entrons dans la danse !
Tristan suivit, dégainant sa Floberge.
« Sitôt en bas, dès que je le pourrai, je changerai de camp. J’affronterai Naudon ventaille haute en juppant : "Reculez ! Reculez : cette motte est un piège ! " La bataille prendra un tour nouveau ! »
Sentant qu’ils atteignaient leur butte à reculons, et sachant
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