Les amants de Brignais
s’empourpra. Un sourire sans joie creusa deux fossettes d’ombre aux commissures de ses lèvres :
– Arnaud de Cervole est honnête ! J’en jurerais sur les Saintes Ecritures !
Il eût été inconvenant de prolonger cet échange. Guillonnet de Salbris avait les os du crâne plus durs que le fer de son bassinet. D’ailleurs, il semblait s’intéresser à Lyon, un peu mauve dans les feux du soleil resconsant 116 , et fumeux sous les nuages, comme si des bûchers dévoraient, là-bas, des centaines de condamnés. Tristan vit le regard du chevalier se poser très loin en avant sur le charreton transportant les corps de Jacques et Pierre de Bourbon ; il roulait pesamment dans les ornières et quelquefois semblait près de verser.
– C’est pour ces prud’hommes, saligot, que tu paieras cher ta trahison !
– Ils se sont trahis eux-mêmes !… Par négligence et présomption, vous vous êtes tous trahis !
– Leur hardiesse…
– Elle n’est qu’un affiquet si celui qui peut s’en enorgueillir a le crâne aussi creux qu’un grelot !
Quelque chose heurta la dossière de Tristan : l’extrémité acérée d’un vouge.
– C’est-y pas malheureux d’ouïr ça !… Tu n’es plus rien, chevalier de racaille !… Avance !… Vous lui faites grand honneur, messire Guillonnet, de paroler avec lui !
Tristan se soucia peu de savoir qui était cet homme. Il comprenait sa fureur. En temps ordinaire, ce rustique l’eût voussoyé, appelé messire en s’inclinant un peu. Mais où était ce « temps ordinaire » ? Evanoui. La France combattait l’Angleterre, les routiers, Charles le Mauvais… Partout la guerre et ses désolations. Il fallait que Tiercelet éloignât Oriabel en un lieu dépourvu de toute espèce de menace. Or, cet endroit paisible existait-il ?
Angilbert de Bruges trébucha puis se remit à avancer presque joyeusement sur ses sandales aux talons rongés par les pierres des grands chemins. Sa robe de bure faisait une tache ovale derrière lui, qui dansait, elle aussi, et parfois l’on entendait un oremus ou un pater noster dont on pouvait douter qu’il appartînt à la liturgie.
– Hâtez-vous ! hurla Salbris contaminé par la colère de l’homme d’armes. Hâtez-vous ! Il nous faut entrer dans Lyon tout près du chariot… Allongez la foulée !… Je vous pardonnerai de donner quelques coups à ces malandrins pourvu que nous rejoignions nos preux amis, qui peut-être désormais sont sans vie !
Lambrequin, Taupart et Sabourin, au risque de s’ouvrir les coudes ou les épaules, repoussèrent les coups dont ils étaient accablés. Tristan, cessant de les regarder, observa que ses mains, liées trop étroitement, enflaient et devenaient violettes. Puis Nadaillac prit dans son séant des aiguillons de sagette, et tout en procédant à ces piqûres, l’archer de seize ans qui les administrait riait comme une fille qu’on chatouille.
– Avance, racaille !… T’a-t-on dit que tu as une tête de mort ?
Dans sa voix, son regard, la fierté frémissait. Son visage gras, mafflu, était aussi laid que celui de Nadaillac : un front bas, un gros nez, une bouche dont la lèvre supérieure dévorait la lèvre inférieure ; un menton court, poilu. Il avait échappé de peu à la mort par la peste, car son visage était criblé de pétéchies. Insensible à la douleur, Nadaillac ricana ; la fureur de l’adolescent s’accrut :
– On n’a pas idée d’être fangeux comme ça !… On aurait dû vous occire sur place.
– Dommage, dit Nadaillac, que j’aie été trop occupé à poursuivre un fuyard. Je ne vous ai pas vus, mussés dans ce fourré où vous étiez accroupis comme des couards !
Cette fois, l’acier d’une guisarme pénétra dans le flanc dextre, qui se mit à vermillonner les mailles treslies.
– Vous êtes de méchants vilains, tuffes, guicliers, bomules, termulons, tacriers, craffeurs, marradors et cratimaz 117 ! s’écria Guillonnet de Salbris.
– Quand je regardais s’approcher votre armée qui n’existe plus, dit Sabourin, c’est ce que je pensais !
Il reçut un bois de hampe sur l’épaule, assené tellement fort qu’il dit, sans crier ni gémir, en agitant son bras qu’on avait laissé libre, puisqu’il y manquait le poignet et la main :
– Il m’a rompu un os… Ce petit qu’on a sur le devant…
– Tais-toi… Taisez-vous, dit Tristan. Vous leur faites plaisir et vous les excitez… À vrai dire,
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