Les amants de Brignais
parvinrent en vue de Brignais, ils n’aperçurent que les « hommes occupant la montagne et ne poussèrent pas plus avant leur reconnaissance. Leur rapport fut donc inexact. Cependant, note Aimé Cherest, hagiographe de l’Archiprêtre, Arnaud de Cervole prévint Bourbon qu’il allait trouver devant lui au moins 15 000 adversaires. Le chevalier dut hausser les épaules, incrédule, et ce fut peut-être ce que l’ancien routier espérait. Quelques vieux survivants des batailles perdues, instruits par les leçons du passé, dissimulèrent d’autant moins leurs appréhensions qu’ils n’avaient pas été soldés. Certains affirmèrent que « on alloit combattre les compagnies en trop grand péril, au parti où ils étoient et se tenoient, et que on se souffrit, tant qu’on les eût éloignés de ce fort où ils s’étoient mis, et si les auroit-on plus à l’aise ». Jacques de Bourbon, aussi funestement entêté que les chevaliers de Crécy et de Poitiers, dut leur reprocher leur prudence sinon leur couardise et fit ordonner ses batailles… en prenant soin d’exposer l’Archiprêtre. Et sans la moindre réflexion préliminaire, on fonça.
Cela, c’est Froissart qui l’affirme. Vers quoi ? Vers la « montagne ». Les routiers se baissaient, ramassaient les pierres et les cailloux et les jetaient « si fort sur ceux qui les approchoient, qu’ils effondroient bassinets tant forts qu’ils fussent, et navroient et mes-haignoient (378) tellement gens d’armes que nul ne pouvoit ni osoit aller ni passer avant, tant bien targé (379) qu’il fut ».
Ecrasée sous une avalanche de pierres (il n’est même pas question de frondeurs), cette vague déferlante fut repoussée avant d’avoir atteint les premiers retranchements ennemis. Conduit par Jacques de Bourbon, un second assaut fut annihilé. Alors, après s’être approchée subrepticement du lieu de l’action (en contournant la « montagne »), l’élite des routiers se précipita sur la pente, prenant les royalistes au flanc et sans doute à revers.
(La retraite dégénéra en déroute. Il y avait, au commandement de cette seconde vague de routiers, Seguin de Badefol (ce sont Froissart et Maurice Chanson qui le prétendent), le Petit-Meschin, Naudon de Bagerant, le Bourc Camus, Espiote, Batillier, le Bourc le Lespare, Lamit, Guiot du Pin, le Bourc de Breteuil, etc. Leur cri de guerre était : « Aye Dieux, aye as Zompaingnes ! »
Il est vrai que le sire de Cervole n’avait pas attendu les résultats de la reconnaissance pour mettre le comte le la Marche en garde contre la force, le nombre et l’astuce des compagnies. Le chevalier lui répondit : Archiprêtre, vous m’avez dit qu’ils estoient bien 15 000 et vous entendez le contraire. » (Les coureurs fixaient le nombre de routiers sur la motte à environ 5 000 et 6 000… et c’est à leur propos, sans doute que se fia le Dr Mollière, puisqu’il adopta sans réticence la thèse de Froissart). Or, comment Arnaud de Cervole pouvait-il se montrer si précis ? Avait-il effectué une reconnaissance avant celle des cou reurs ou bien avait-il été informé par quelques anciens compagnons passés chez les Tard-Venus ?
Après le premier affrontement, il aurait conseillé au comte de la Marche de renoncer à l’attaque et d’attendre l’ennemi sur un terrain plus favorable. Il ne fut pas écouté. Continua-t-il de participer à la bataille avec le même entrain, la même opiniâtreté que s’il eût conservé la moindre espérance de vaincre » ? Cela, Aimé Cherest qui le prétend. On peut en douter et, connaissant l’individu, sourire.
Tel est, dans ses grandes lignes, le « reportage » de Froissart.
LES LENTEURS DU COMTE DE LA MARCHE
La version de Matteo Villani (380) qui n’en savait pas plus, sur les lieux, que Froissart (381) est tout à fait différente. Il commet une première erreur monumentale en attribuant le mérite de la victoire aux qualités guerrières du seul Petit-Meschin.
Ayant conquis Brignais, écrit-il en substance, le Petit-Meschin y laissa 300 des siens en garnison et s’en alla ravager le Forez avec 3 000 barbutes et 2 000 masnadieri, la plupart italiens. Pendant ce temps, le comte de la Marche arrivait en vue de Brignais. Il campa près de la motte bien défendue, ne doutant pas de la victoire. Le Petit-Meschin se trouvait à un jour et demi de Brignais. Ayant appris par un message le péril où se trouvaient ses affidés,
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